Le gouvernement s'apprête à présenter un projet de loi sur la réforme de la sécurité sociale. La question nécessite également un débat participatif impliquant toutes les parties prenantes autour d'un nouveau système juste et plus solidaire La crise dans laquelle sombrent nos caisses sociales n'est plus un secret pour personne. Et pour cause. Leur réforme demeure plus que nécessaire, voire incontournable. Lors d'une rencontre de deux jours, ouverte hier matin à Tunis, sur « la réforme de la sécurité sociale en Tunisie, les défis et les solutions », gouvernement, partenaires sociaux (Utica, Ugtt, Utap) et tous les participants sont d'accord sur ce principe. Reste à trouver un terrain d'entente pour dépasser leurs différends et rapprocher, de la sorte, leurs points de vue. Surtout qu'un projet de loi est en gestation qui sera, prochainement, examiné en plénière, à l'ARP. Selon M. Hafedh Laâmouri, ex-ministre et vice-président coordinateur de l'Association tunisienne du droit social (Atds), une telle réforme ne peut plus attendre. « Si elle n'a pas lieu effectivement, d'ici 2018, tout le système de la sécurité sociale, y compris la Cnam qui doit son financement aux deux autres caisses (Cnrps et Cnss), risque de partir en vrille. Et à ce moment-là, il lui sera quasiment impossible de se redresser», prévient-il, texto, dans son rapport introductif sur ce chantier qui n'a cessé de faire encore débat. Car, les tentatives de sa réforme furent multiples, remontant aux années 80 et 90 du siècle dernier. Mais, en vain. Et depuis, aucun gouvernement, juge-t-il, n'a su mettre le doigt sur la vraie plaie. «Toutes les mesures qui avaient été prises, au fil du temps, n'ont pas été efficaces, durables et globales pour pouvoir remettre le système sur le rail», rappelle-t-il. C'est pourquoi, argue-t-il, ce régime de couverture sociale n'arrive pas, jusqu'à ce jour, à retrouver ses équilibres financiers. Et son déficit a dépassé, de loin, le seuil de mille millions de dinars. Ce qui a poussé l'Etat à injecter dans la caisse de la Cnrps 300 millions de dinars au titre de la loi de finances complémentaire 2016, puis 500 MD pour l'exercice 2017, pour lui permettre de verser les pensions de retraite à ses affiliés. Certes, cette intervention lui a donné une certaine bouffée d'oxygène, mais pas une issue de crise. Un système juste et équitable Pour lui, cette manifestation vient ainsi à point nommé, du moment où le gouvernement s'apprête à présenter un projet de loi sur la réforme de la sécurité sociale. De son côté, M. Mohamed Ennaceur, président de l'ARP et de l'Atds, a indiqué que cette question aussi complexe que compliquée intéresse les différentes catégories de la population tunisienne, fortement liée au présent comme à l'avenir. « C'est, avant tout, une véritable cause sociétale sur laquelle le débat doit être, forcément, participatif, impliquant toutes les parties prenantes autour d'un nouveau système que l'on veut juste et beaucoup plus solidaire», lance-t-il. Sans que ce débat, insiste-t-il, ne soit sorti en dehors du pacte social, signé en 2014 entre le gouvernement d'une part, l'Ugtt et l'Utica, d'autre part. Sauf que, ajoute-t-il, la détermination des défis de la réforme exige un sérieux diagnostic de l'état des lieux actuel, en tenant compte, bien entendu, du droit constitutionnel à la couverture sociale. Et là, le chef du législatif a reconnu que la crise du secteur est telle qu'elle entraîne un système de sécurité sociale impuissant et déficitaire. D'autant plus qu'une majorité des citoyens sont livrés à eux-mêmes, vivant à la marge de la protection sociale. L'objectif est d'asseoir une réforme urgente, viable et équilibrée. Loin des solutions de bricolage ou de « rachat », telles que celles «inventées» par le passé. « Il faut penser à d'autres sources de financement au profit de nos caisses sociales pour améliorer leur rendement et élargir leur capacité de couverture», suggère-t-il. Cela peut se faire, à condition que cette réforme soit engagée à partir du diagnostic des difficultés et sur la base des propositions réalisables, le tout dans une approche participative. La philosophie, selon lui, étant de mettre en place « un socle universel de protection sociale » couvrant les cas de maladies, d'invalidité et autres. Points de vue convergents Les trois organisations partenaires ont pris, tour à tour, la parole pour donner chacune leur propre vision de la réforme, soulignant, à l'unanimité, l'urgence d'agir sans délai. M. Abdelmajid Ezzar, patron de l'Utap, s'est mis dans la peau de ses affiliés, défendant leur droit à une couverture sociale digne de ce nom. Car, à ses dires, agriculteurs et pêcheurs, sont les catégories socioprofessionnelles qui en souffrent les plus. Soit au total 516 mille agriculteurs et quelque 60 mille marins-pêcheurs dont 11% seulement bénéficient de la sécurité sociale. « Une marginalisation de trop», s'indigne-t-il. Alors que la Tunisie, rétorque-t-il, est un pays agricole par excellence. Un paradoxe ! Le représentant de l'Utica, l'organisation patronale, M. Abelaziz Halleb, s'est focalisé sur la nécessité de prendre un train de mesures pour une réforme régulatrice, et qui soit en passe de finir avec les équilibres enregistrés entre revenus et allocations, en ce qui concerne l'âge de la retraite et la gouvernance des caisses. « L'actuel système sape le travail décent», relève-t-il, citant l'exemple du secteur du textile. Et de conclure, il a beaucoup misé sur le projet de loi portant sur le conseil national du dialogue, ceci étant dans le cadre du fameux pacte social. Au nom du secrétaire général de l'Ugtt, M. Badr Smaoui est parti de l'expérience de la maison, faisant valoir la position de la centrale syndicale sur le sujet. De l'avis de son partenaire social relevant de l'Utica, il a appelé à l'accélération de la mise en place du conseil du dialogue, actuellement en panne. C'est que, selon lui, le pouvoir public n'a guère été à la hauteur des défis auxquels font face les caisses de sécurité sociale. L'homme s'est déclaré pour des solutions urgentes en attendant la mise en œuvre de la réforme globale, tout en plaidant en faveur de l'intégration de l'économie informelle dans le régime de la protection sociale. Entre autres défis à relever pour mieux engager la réforme, le rapport introductif a tenu à mettre en relief la quête de nouveaux moyens de financement, la révision de l'âge de la retraite à plus de 60 ans, l'institution de taxes fiscales et parafiscales spécifiques à la sécurité sociale, majoration des cotisations dans le secteur public, l'incitation à l'investissement générateur d'emplois décents et réduction du chômage, l'intégration de l'informel dans le système de sécurité sociale, baisse des pensions à hauteur de 80%, l'amélioration du taux de couverture pour les différents régimes de la Cnss et création d'un fonds d'assurance sur le chômage tel que stipulé dans le pacte social. Il est question d'améliorer la gouvernance des caisses, afin de mieux vivre longtemps.