Mercredi 29 mars 2017, à la maison de la culture Ibn-Rachiq, en présence du ministre de la Justice et d'un public nombreux de délégations étrangères, de journalistes, d'artistes et de curieux, les détenus de la prison civile de Mahdia ont joué «Tempête», une adaptation libre de Platon En arabe, la pièce s'intitule « Naou » d'après « La République », un dialogue de Platon, philosophe antique de la Grèce classique, qui développe une conception originale de la vie sociale à l'intérieur d'une Cité idéale. Le philosophe y affirme l'existence, au-delà du monde sensible, d'un monde intelligible, le monde des idées. C'est ainsi que ces dix hommes choisis entre 55 candidats désireux de faire du théâtre dans le cadre d'une action culturelle en milieu pénitentiaire ont compris que le monde est semblable à un livre, que chacun de nous est un mot à l'intérieur d'un texte qu'il faut savoir lire. On nous apprend que la plupart de ces comédiens subissent une lourde peine. Mais il n'y avait aucune allusion pinçante, car dans cette pièce il ne s'agissait nullement d'émouvoir la compassion pour ces personnes captives, mais d'improviser autour des concepts fondamentaux de Platon, autour des limites, de la place de chacun dans la cité, de la vérité, de l'idée du bien, de la justice... Mais chaque fois que le texte s'éloigne des propos intellectuels et aborde l'anodin du quotidien et ses « douces violences », les comédiens sont plus vrais que nature, on ne peut plus attachants et nous font hurler de rire. Cela se sent, cela se voit : ces détenus sont heureux d'être sur scène. Pendant près de deux heures, les « libres » et les « captifs » étaient dans la même salle et s'étaient mis à rêver leur «Cité idéale» où chaque individu reste un citoyen avant tout. Autrement dit, mis à part la possibilité d'accéder à ses besoins vitaux les plus élémentaires, la personne détenue doit avoir également le droit d'exercer tous ses droits fondamentaux plus personnalisables (droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels). Et, afin de lutter contre les effets destructeurs de la prison, il est bon de rapprocher les conditions de vie du détenu de celles du citoyen libre. Nous quittons la salle après un tonnerre d'applaudissements et nous espérons avoir la chance d'assister à une nouvelle expérience de ce genre. Celle-ci, rappelons-le, s'inscrit dans le cadre d'un projet élaboré par l'association française « Les yeux de l'ouïe » fondée en 2007 et qui a pour but de développer la création et la diffusion d'œuvres sonores et visuelles, de faire découvrir d'autres formes d'écritures dans l'art vidéo, le documentaire de création, le cinéma expérimental et les installations. En quête d'autres regards, cette association a signé, le 31 décembre 2014, une convention avec la Direction générale des prisons et de la rééducation et la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, pour développer des ateliers de création dans le centre de rééducation des mineurs d'El Mourouj, celui d'El Mghira, et la prison civile de Mahdia, et ce, sous la direction de Kamel Regaia, cinéaste tunisien vivant en France. Nous avons déjà rencontré des interventions culturelles en milieu carcéral (représentations théâtrales, projections de films...), mais ce projet financé par l'Union européenne et mis en place sous l'égide du ministère de la Justice est d'autant plus important qu'il confirme la volonté de la Direction générale des prisons et de la rééducation de voir s'instaurer une politique culturelle à partir de l'administration pénitentiaire, en partenariat avec la société civile. Donner aux détenus la possibilité de devenir des acteurs culturels leur permettra de redevenir des acteurs sociaux, d'acquérir de nouvelles compétences transposables dans un projet de vie, pour finalement améliorer leurs perspectives de réinsertion durable dans la société.