La grande famille du Club Sportif Sfaxien a accompagné hier jusqu'à sa dernière demeure une grande figure du football tunisien, Abdallah Hajri, décédé dimanche dernier des suites d'un A.V.C. à l'âge de 74 ans. Ses copains de la grande équipe du CSS, vainqueur des premiers titres du club au tournant des années 1960-70, étaient tous là, au cimetière du Jellaz où il a été inhumé pour rendre hommage à un des leurs. Un coéquipier particulièrement cher et qualifié dans un même élan de footballeur modèle, aussi bien dans le jeu que dans la vie de tous les jours. «C'est le frère affectueux, généreux et altruiste», se souvient son coéquipier Habib Jerbi, grand défenseur central du club «noir et blanc» façonné par le sémillant Yougoslave Kristic. «Abdallah Hajri n'a jamais créé de soucis ni à ses coéquipiers ni à son entraîneur et à ses dirigeants. Son sang-froid remarquable, sa rectitude et son éducation en faisaient un grand monsieur. Nous avons gravi ensemble les échelons, à partir de la catégorie école jusqu'aux seniors. J'ai le souvenir d'un technicien hors pair qui faisait les délices des puristes. Sa technique raffinée lui permettait d'éliminer un, deux puis trois défenseurs d'affilée, de les mettre dans le vent sans donner l'impression de consentir de gros efforts. C'était dans les gènes : une joie de jouer, un plaisir qu'il donnait et se donnait à lui-même. Un hymne au beau jeu ! Et ce qui ne gâte rien, il était d'un calme olympien. Jamais vous ne l'entendrez dire un seul mot méchant ou déplacé. Tout juste un chewing-gum à la bouche pour mieux se concentrer et évacuer le stress. Les soirs de défaite, il venait nous consoler pour nous rappeler que le sport, c'est la victoire, mais aussi l'échec». Le chef-d'œuvre d'Alger Habib Jerbi trouve que Hajri a livré son meilleur match devant les Algériens du Chabab Ryadhi Belcourt, à Alger, en finale 1969-1970 de la Coupe maghrébine des clubs champions : 2-2, et victoire algérienne (aux tirs au but) 4-3. «Il était de la trempe de Moncef El Gaïed, Delhoum, Graja, Sassi et consorts, des figures inoubliables du CSS de la Belle époque», estime-t-il. «Son amour pour le CSS n'avait d'égal que son plaisir à évoluer aux côtés de ces monstres sacrés, souligne Jerbi. Quand il était en France où il poursuivait ses études, il rentrait au pays spécialement pour suivre les grandes rencontres du club de ses premières amours. Le cas de la finale de la coupe de Tunisie, en 1971, devant l'Espérance Sportive de Tunis. Incapable de dominer ses émotions, il préféra ne pas être sur les gradins du stade d'El Menzah, mais plutôt... dans un café situé juste en face du stade où il suivit cette finale historique devant le téléviseur. Nous avions remporté la première coupe de Tunisie de l'histoire du CSS. Nous avons porté ce jour-là un jeu de maillots ramené de France par... Abdallah Hajri et Moncef El Gaïed. La génération Kristic touchait au but : Hajri, Abdallah Trabelsi et moi-même avions été lancés dans le grand bain en 1965 par le bâtisseur du CSS des temps modernes, le Yougoslave Milan Kristic (1961-1966)», témoigne Habib Jerbi. «Pas du genre sprinter» Le héros de cette finale du 13 juin 1971 qui offrit, donc, au CSS sa première coupe de Tunisie, s'appelle Abdelwahab Trabelsi, auteur du but de la victoire dès la 3e minute d'un maître-tir des 35 mètres qui trompa la vigilance de Mokhtar Gabsi. L'aîné des frères Trabelsi rappelle qu'«en débarquant parmi les seniors, Abdallah Hajri a pris la place de Saâd dit "Tractor El Baladia" (le tracteur municipal). Nous avons été lancés ensemble dans le grand bain de l'équipe première. Il était tout jeune encore. S'il a tiré sa révérence en 1974, j'ai encore joué deux ans avant de partir à mon tour C'est un frère que nous perdons là. Il savait éliminer ses rivaux grâce à un dribble déroutant, tout en donnant l'impression de faire du surplace. Ce n'était pas, à vrai dire, le genre d'ailier sprinter et qui avalait les espaces. Non, il progresse tout en étant presque immobile et sait offrir des caviars à son avant-centre. Contre Belcourt, il donna un véritable récital et ce n'était pas peu de chose face à des monstres sacrés du foot algérien : les Lalmas, Kalem, Abroug... J'ai inscrit dans cette finale-là le second but (2-2)». En plus de son frère Béchir, gardien de but de ce CSS romantique et spectaculaire, Abdallah Hajri baignait dans un univers cent pour cent foot : il a comme beaux-frères Ahmed Mghirbi, le grand défenseur du Stade Tunisien, et son coéquipier au CSS, Mongi Dalhoum. Une véritable légende s'en va ainsi sur la pointe des pieds.