«Il ne faut pas que les citoyens considèrent que la Cour constitutionnelle est un rouage de l'Etat qui ne concerne que les hautes sphères du pouvoir. C'est une institution dont le fonctionnement devrait avoir un impact direct sur la vie des citoyens», insiste Salsabil Klibi, membre de l'Association tunisienne de droit constitutionnel et Democracy Reporting International L'Association tunisienne de droit constitutionnel et Democracy Reporting International ont organisé hier, à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, une journée d'études sur la mise en place de la Cour constitutionnelle tunisienne, en coopération avec la Cour constitutionnelle italienne qui célèbre son 60e anniversaire. En présence du Pr et ministre de la Défense, Farhat Horchani, de l'ambassadeur d'Italie, Raimondo De Cardona, de l'ambassadeur d'Allemagne, Andreas Reinicke, le doyen de la faculté, Lotfi Chedli, a souhaité la bienvenue aux hôtes et à la délégation italienne, présidée par la vice-présidente de la Cour constitutionnelle, Mme Marta Cartabia. Les membres de l'Atdc et enseignants à la faculté, Salsabil Klibi, Salwa Hamrouni et Chawki Gadde, organisateurs et modérateurs de la rencontre, ont présenté les personnalités présentes ainsi que les thématiques principales de la journée. Journée à laquelle ont assisté d'éminents juristes, à l'instar du doyen Mohamed Salah Ben Aissa, ainsi que des universitaires et des étudiants en droit. La Cour italienne présente un intérêt particulier pour éclairer le processus national, compte tenu de la similitude des conjonctures. Puisque la création de la haute juridiction a été prévue pour la première fois dans un contexte de transition démocratique, après l'éviction du régime fasciste de Mussolini. Réticence des acteurs politiques Cette rencontre, qui s'inscrit dans une démarche comparative, a été consacrée aux défis que devra relever la juridiction tunisienne à la lumière de l'expérience italienne. Mme la juge Marta Cartabia a présenté une conférence sur la mise en place de la Cour constitutionnelle dans l'Italie de l'après-guerre. La vice-présidente a indiqué, à ce titre, que cette institution représente un élément important dans le panorama institutionnel italien. Elément non rigide, vivant, qui évolue conformément à la vie de la société. La Cour relève du pouvoir juridictionnel et a marqué son indépendance par rapport au pouvoir politique. Ainsi, l'ouverture sur la démarche transalpine nous enseigne que huit ans ont été nécessaires pour la mise en place de la Cour. En cause, la réticence des acteurs politiques. L'ambassadeur d'Italie, M. De Cardona, qui n'a pas manqué d'insister sur la volonté de son pays et de l'Union européenne d'être aux côtés de la Tunisie au cours de la transition en cours, a prié les Tunisiens de ne pas se décourager, même si la création de la Cour requiert plus de temps que prévu. L'ambassadeur d'Allemagne, M. Reinicke, a précisé, pour sa part, que la transparence des lois et la fiabilité des règles sont les fondamentaux sur lesquels s'érige un Etat de droit. Il ajoute, pour illustrer ses propos : « Lorsque je demande aux investisseurs allemands quelles sont les conditions pour venir investir en Tunisie, ils répètent toujours que le respect des règles établies, par la douane, par le pouvoir politique, par la justice représente une condition incontournable et une garantie pour nous». La démocratie n'est pas l'anarchie mais le respect des règles. Les détenteurs de l'autorité, les juges, les avocats, les hommes politiques sont les premiers à devoir donner l'exemple en payant leurs impôts et en respectant les règles mises en place, a-t-il insisté. Maintien de l'état d'exception L'adoption de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 a permis l'introduction d'une des plus importantes institutions garantes de l'Etat de droit, à savoir une cour constitutionnelle. Celle-ci est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité des normes, des projets de lois ordinaires et organiques. La cour est également dotée d'attributions, en l'occurrence le pouvoir de contrôle et de régulation de l'exécutif, puisqu'elle tranche les conflits de compétence entre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement. De même, la Cour intervient sur l'opportunité du maintien de l'état d'exception proclamé par le chef de l'Etat en vertu de l'article 80 de la Constitution. La Cour dispose de neuf chefs de compétence, détaille encore le professeur et ministre, M. Horchani, dont le contrôle de conformité des révisions constitutionnelles, le contrôle de constitutionnalité des projets de loi adoptés par l'ARP, le contrôle de constitutionnalité du règlement intérieur de l'ARP. Parmi ses autres attributions, la destitution du président de la République. Compétence inédite à la Cour constitutionnelle pour mettre fin au mandat du président, en cas de violation grave de la Constitution. Composition de la Cour constitutionnelle Au cours de son intervention, Salsabil Klibi précise que c'est la troisième rencontre que l'Association organise portant sur la Cour constitutionnelle, qui n'est pas encore mise en place. Objectif, contribuer à créer une opinion; « il ne faut pas que les citoyens considèrent que c'est un rouage de l'Etat qui ne concerne que les hautes sphères du pouvoir. C'est une institution dont le fonctionnement devrait avoir un impact direct sur la vie des citoyens », a-t-elle considéré. Il s'agit de l'une des innovations majeures de la constitution du 27 janvier 2014. Du fait que cette institution constituera la pierre angulaire du système juridique, en garantissant la suprématie de la Constitution. Quant à la composition de la Cour, la Constitution prévoit que celle-ci peut accueillir trois membres non juristes. Disposition critiquée par une partie des spécialistes présents. S'ils ne sont pas juristes dans une telle juridiction, la plus élevée, de quelle discipline peuvent-ils relever, se sont-ils demandé ? La Constitution de 2014 a retenu un système de nomination tripartite : le parlement nomme 4 membres, le président de la République nomme 4 membres et le Conseil supérieur de la magistrature nomme 4 membres. Sans être exceptionnel, un tel système, qui fait intervenir les trois pouvoirs, illustre la volonté du constituant d'impliquer le pouvoir juridictionnel dans la nomination des juges constitutionnels. Ces juges exercent un mandat unique de neuf ans, et ne doivent exercer d'autres activités que ce soit à titre lucratif ou gratuit. Au cours du débat, notre journal a fait remarquer qu'à chaque mise en place d'une instance constitutionnelle et d'un ordre juridictionnel, les forces politiques et les corps de métiers, les organisations nationales tentent d'arracher une parcelle de pouvoir en s'y positionnant. Espérons que la Cour constitutionnelle sera mise à l'abri de ce morcellement politico-corporatiste. En apparence technique, l'institution d'une Cour constitutionnelle dans un Etat de droit reste le meilleur garant pour la Tunisie pour mettre en forme un contrat social que la Constitution représente et tend à faire respecter, et ce, au fil du temps.