L'Association tunisienne de droit constitutionnel a organisé mercredi dernier, en collaboration avec la Democracy Reporting International, une table ronde consacrée à passer au crible, dans une première lecture, l'avant-projet de constitution. Dans l'édition d'hier, nous avons présenté l'essentiel du contenu des intervention des éminents experts en droit constitutionnel, en l'occurrence professeur Yadh Ben Achour qui a présenté un rapport introductif, Ghazi Gheraïri qui a abordé le contenu du préambule et des principes généraux, Slim Laghmani qui a donné son impression générale en ce qui concerne la place de la liberté de conscience, de religion et libre exercice du culte, Salwa Hamrouni qui a traité de l'égalité et la non-discrimination. Quant à Salsabil Klibi, son intervention a permis de toucher le point sensible de la restriction des droits et des libertés, tandis que Ferhat Horchani s'est intéressé au droit international dans l'avant-projet de constitution. Amine Mahfoudh a pour sa part évoqué la question du régime politique, et enfin Chefik Sarsar a développé une réflexion autour des instances constitutionnelles. Aujourd'hui, nous présentons la suite des communications faites autour du pouvoir juridictionnel présentée par l'universitaire Néji Baccouche et celle autour de la place de la démocratie locale dans l'avant-projet de constitution élaborée par Ridha Jenayah, également universitaire. Le pouvoir juridictionnel: Néji Baccouche (faculté de Droit de Sfax) : Vers une justice financière ? Le professeur Néji Baccouche a insisté au début de son intervention sur l'absence de texte clair en ce qui concerne les devoirs du citoyen en termes de fiscalité dans un pays où la fuite fiscale est relativement importante. Le conférencier préconise que le paiement des impôts soit même une condition pour pouvoir accéder à l'emploi. Il recommande également de constitutionnaliser la nécessité pour l'administration publique de justifier ses décisions afin de faciliter par la suite le travail du tribunal administratif. Même si le texte sur le pouvoir juridictionnel est plus généreux que celui de la constitution de 1959, le conférencier déplore que rien n'indique que le juge est le protecteur des libertés et droits. Il rejoint l'avis de Yadh Ben Achour pour dire qu'il ne faudrait surtout pas doter le pouvoir juridictionnel de la personnalité morale sans vraiment s'étendre sur le sujet. L'intervenant évoque également la justice financière, rappelant qu'aujourd'hui, on parle d'évaluation des politiques financières de la part d'institutions publiques. Dans ce sens, la Cour des comptes ne devrait pas avoir uniquement un rôle de superviseur de la forme, mais devrait disposer d'un droit de regard sur la politique financière du gouvernement. Dépassant les clivages partisans en ce qui concerne la création du Conseil supérieur de la magistrature, le professeur Néji Baccouche s'est demandé si une telle instance est nécessaire et si le tribunal constitutionnel ne peut pas jouer le rôle de cette instance à condition bien sûr qu'il n'y ait pas de nominations au sein du tribunal constitutionnel qui sera composé de juges élus et d'experts constitutionnels. Poursuivant ses recommandations, il préconise d'extirper la sanction des juges du corps juridictionnel et donc du conseil supérieur de la magistrature au profit d'autres institutions. La démocratie locale : Ridha Jenayah (faculté de Droit de Sousse) : Recourir aux référendums Ridha Jenayah, professeur à la faculté de Droit de Sousse, remarque que ce brouillon de projet ne cite que la municipalité et n'a pas évoqué la notion de gouvernorat. L'objectif est sans doute une réorganisation territoriale de la Tunisie qui supprimerait le concept de gouvernorat. Le professeur Jenayah voit dans cette optique une menace pour le pays, notamment en raison des sensibilités régionales et de la «arouchia» qui refait surface. Il aurait fallu, selon l'intervenant, maintenir les deux niveaux, gouvernorat et municipalité, tout en révisant à fond les prérogatives du gouverneur et, surtout, limiter ses pouvoirs qui ont été pervertis du temps du président déchu. Le conférencier salue d'autre part le fait que la démocratie participative soit bien inscrite dans le brouillon de Constitution (article 9) même si la rédaction laisse à désirer. Selon l'orateur, il aurait fallu doter ce texte des outils indispensables à la démocratie locale comme la possibilité de recourir aux référendums locaux.