Hier 12 mai, alors que la mosquée de la ville d'Erriadh (Houmt souk) appelait à la prière du vendredi et recevait les fidèles musulmans, la synagogue de la Ghriba, à quelques centaines de mètres, ouvrait ses portes aux pèlerins juifs qui viennent de partout dans le monde... L'instant était vraiment unique ! Il fallait le vivre ce spectacle, ne serait-ce qu'une fois dans la vie, pour comprendre à quel point cette culture du vivre-ensemble est ancrée dans ce pays si propice aux différences Ainsi a commencé l'ouverture hier de la saison du pèlerinage de la « Ghriba» sur l'île de Djerba : sous le signe de cette tolérance qui réunit pendant un moment tous les enfants d'Abraham sur une île devenue aujourd'hui un symbole. Entre festivités dans la grande cour et rituels religieux dans la synagogue, les pèlerins juifs vont pratiquer une tradition qui dure plus d'un siècle et demi sur l'île des lotophages. Une ouverture très haute en couleur avec les youyous poussés par les femmes et les chansons entonnées par les hommes. Car si ce pèlerinage a une particularité, c'est bien celle de son caractère festif dilué dans la ferveur religieuse. Plus de trois mille pèlerins visiteront cette année l'une des plus anciennes synagogues juives sur une île où les forces de sécurité assurent une prestation d'un grand professionnalisme. « Aujourd'hui, c'est l'ouverture de la Ghriba et les gens sont en train d'affluer dans les bus. D'ici dimanche, nous atteindrons 3.000 pèlerins, dit Perez Trabelsi. Dimanche également nous recevrons, entre autres, la visite des ministres du Tourisme et des Affaires religieuses ainsi que plusieurs ambassadeurs. Nous avons toujours organisé ce pèlerinage et nous espérons atteindre des chiffres supérieurs l'année prochaine. Ce pèlerinage et la destination Tunisie sont en train de reprendre leur souffle et j'ai entièrement confiance en la Tunisie et en son avenir». «En Tunisie, nous n'avons pas des musulmans d'une part et des juifs de l'autre, dit le gouverneur de Medenine, M. Mohamed Matmati, présent à l'ouverture. On a des Tunisiens qui s'entendent et qui vivent ensemble en toute harmonie. Cela prouve aussi que la Tunisie est un pays qui évolue dans la sécurité. La Ghriba est également un signal pour le démarrage de la saison touristique qui, selon les prévisions, s'annonce très positive. Je suis très optimiste pour l'avenir de la Tunisie». Pour Gabriel Kabla, qui est venu accompagné de plusieurs organes de presse français ainsi que de grandes personnalités, la Ghriba est un grand symbole: «C‘est un honneur pour moi de faire connaître ce pays où je suis né à ce groupe qui m'accompagne de Paris où il y a des dirigeants de la communauté juive et des gens attachés à la Tunsie, comme Gérard Sebag, dit-il, J'essaie de me rendre utile en quelque sorte et d'aider pour que ce moment soit éclairé dans le monde afin de montrer que la Tunisie reste une exception même après 2011. Il faut aimer ce pays pour sa manière d'approcher l'autre. Il faut préserver cette capacité à se respecter et à échanger pour pouvoir vivre ensemble. Dans le contexte actuel, la Tunisie reste une petite fenêtre à travers laquelle les juifs et les musulmans peuvent dialoguer. Le pèlerinage est aussi une occasion pour certains de renouer avec la Tunisie comme Elisabeth qui vit à Londres et que nous avons rencontrée à la synagogue: «Je suis née à Tunis et j'ai quitté le pays quand j'avais 15 ans. C'est ma première visite en Tunisie depuis mon départ. J'ai rencontré des juifs et des musulmans à la Ghriba qui prient ensemble et c'est magnifique. Je suis très fière d'être là : il y a un niveau spirituel extraordinaire. Et je voudrais que ce soit un message fort pour tout le monde. Je vois la sécurité dans les rues et je me rends compte que le problème de l'insécurité ne se pose pas qu'en Tunisie mais dans le monde entier... J'ai envie de dire aussi que les méchants n'ont pas de nationalité. C'est une bande à part et les humains sont un monde entier». Evar Philippe Hajjaj effectue son deuxième pèlerinage à la Ghriba: «On retrouve ici une ambiance très particulière à ce pèlerinage, dit-il. Je veux dire à tout le monde n'hésitez pas à venir en Tunisie. On se sent vraiment en sécurité, mieux que dans les grandes villes du monde et on retrouve nos racines, nos attaches et cette fraternité qu'on a entre nous». Jusqu'au 14 mai, la fête continue sur l'île de Djerba et c'est peut-être l'une des seules fêtes dont la dimension humaine est indiscutable.