Par Khaled TEBOURBI «Mûsîqât» revient ce samedi. A la bonne heure. Après le «méli-molo» de l'été, une semaine d'écoute ne sera pas de refus. A ses débuts, on ne payait pas cher des chances de réussite de «Mûsîqât» : mini-festival, mini-salle, et une thématique, a priori, élitiste («Les musiques néo-traditionnelles») qui ne devait intéresser que de rares connaisseurs et une petite minorité de mélomanes. Vite, cependant, on s'est rendu compte du contraire : la critique a suivi et applaudi, et l'on a commencé à se bousculer aux guichets d'«Ennajma Ezzahra». Une toute première explication : la qualité incontestable des programmes. Que des ensembles et des solistes de haut niveau, et des répertoires authentiques que l'on puise au fin fond des terroirs du monde. Au surplus, les musiques de la tradition regagnent en audience. Ici c'est le raz de marée des «Hadhras», ailleurs la composition contemporaine cherche matière et inspiration dans «l'underground» et les mélodies de souche. De la conscience de l'art Il ne faut pas tout mélanger pour autant. Par exemple, les reprises récentes de la «Hadhra», les relectures qui en sont faites surtout, ne justifient ni de références ni de contenus rigoureux. Le chant des mausolées se donne en spectacle, et les rituels mystiques cèdent à l'exhibition. De même que le mezoued et le folklore des campagnes, retombés, après «Nouba», dans la prolifération douteuse des galas. L'avantage de «Mûsîqât» est de séparer le bon grain de l'ivraie. On n'y a droit qu'à de vrais spécialistes du genre, héritiers d'écoles consacrées, cumulant connaissance et compétence. Le concept de «néo-traditionnel» indique déjà la marque : des artistes détenteurs d'un savoir musical ancien se chargent, maîtrise technique à l'appui, d'en faire la restitution la plus juste (la plus fidèle aux sources) et, à la fois, la plus évoluée. Aucune approximation, aucun raccourci «séducteur» : on sait et l'on sait y faire, c'est pour cette unique raison que l'on est là. Si «Mûsîqât» élargit peu à peu son cercle d'adeptes, s'il trouve, de plus en plus, crédit et respect auprès de la critique et du public, c'est parce qu'il ne dévie jamais de cette règle artistique absolue. Si nos «Hadhras», notre mezoued, et nos chants de régions distillent encore le flou autour d'eux, c'est parce que tout et tous y ont, indistinctement, accès. Citons un article du Dr Mohamed Zinelabidine (1). L'auteur y parle de «conscience de l'art», et de «l'exercice périlleux de l'œuvre d'art». Et il rappelle, à cet effet, aux compositions de Ryadh Sombati, Kassabji, Aboul Ala et autres génies du début du XXe siècle en Egypte. «Des œuvres substantielles, écrit-il, langues fignolées, traduisant du métier, une expérience certaine, et un grand mérite…». Redoutables propos qui clouent au pilori tous les «illuminés» qui prétendent exercer la musique «d'instinct», hors du labeur, de «la teneur et de la profondeur» (2) dans le «piètre essai», «le non-chant» et autres «éternuements» (3). Du rien au tout Le grand tort de nombre de nos musiciens, aujourd'hui, ce qui les écarte, d'emblée de toute appartenance à la musique est précisément cette inconscience de la difficulté foncière de l'art. Ce déni, présomptueux, du «péril» de la création. Cette croyance, qui n'est que paresse et camouflage, qu'on peut devenir artiste sur de seuls «états d'âme». Ni apprentissage, ni écoles, ni culture d'écoute, le temps même de la construction de l'œuvre ne compte plus. De rien on passe au tout : on «compose», on «crée» des spectacles, on «retouche» des patrimoines, on s'installe «maître» et «innovateur», alors que l'on n'a rien derrière soi et que l'on ne se dirige nulle part. A vrai dire, cette flambée persistante des «Hadhras» et du chant populaire est signe de tarissement, sinon d'absence d'aptitude musicale. Si les musiques actuelles ne valent pas une chanson de Riahi ou de Tarnane, c'est que, aussi, souvent, ceux qui s'y mettent manquent manifestement de bases et de formation, sinon pour la plupart de potentiel tout court. Les concerts de «Mûsîqât» reviennent, chaque année, nous remontrer «les distances», nous faire mesurer le chemin qui reste à parcourir. Que des ensembles et des solistes d'exception, a-t-on dit, que des musiciens connaisseurs et compétents : au juste, combien sont-ils parmi nous? Ecoutons donc et comparons. (1) «L'interculture entre visage et mirage du présent», in «Le dictionnaire international des politiques de développement culturel». Colloque Tunis janvier 2007 (2) Ibid (3) Ibid