Ils se la coulent douce en attendant la fin du mois saint qui en est déjà à sa première quinzaine Avec l'absence de nouvelles restrictions plus formelles quant au droit ou non de manger dans les lieux publics, les choses n'évoluent que très peu ou lentement. Comment vivent les non-jeûneurs les journées de Ramadan et quel sentiment les habite face à une attitude anticonformiste adoptée dictée par les mœurs religieuses tunisiennes? Le témoignage de A.R., penseur et écrivain tunisien qui ne pratique pas le Ramadan, est révélateur de la psychologie des Tunisiens durant le mois de Ramadan. « En Tunisie, on tolère le fait de ne pas prier et on l'admet carrément, alors que le fait de ne pas jeûner relève tout simplement du sacrilège ! Dans d'autres pays musulmans, cela se passe différemment avec l'obligation de se soumettre à la prière sous peine de châtiment. » Les non-jeûneurs résistent La journée des non-jeûneurs se dessine dès le matin. Il est neuf heures ce jeudi dans un salon de thé plein de non-jeûneurs, exclusivement de la gent masculine. On les voit attablés souvent seuls un peu moins par groupe de deux ou trois...Têtes en l'air, regards songeurs, les yeux rivés sur leurs smartphones, ils consomment leur dose de libération. L'adrénaline monte, une clope à la main devant leur express et une petite bouteille d'eau minérale pour étancher la soif, ils peuvent oublier Ramadan l'espace de quelques minutes...Dehors, le décor change, on ne se permet pas de sortir une cigarette aux lèvres ou une bouteille d'eau sur soi pour ne pas attirer l'attention des jeûneurs. Le service est là comme aux petits soirs surtaxant votre café crème une fois servi et consommé. A l'exception de l'absence des chichas ou de jeux de cartes prisés par tous lors des veillées ramadanesques. La vague d'arrestations à Bizerte ou à Sousse de non-jeûneurs pour « outrage à la pudeur » en consommant de la nourriture dans les espaces publics en plein jour invite plus d'un à connaître l'éventuel malaise des fattaras et l'adaptation qu'ils font de Ramadan. Arrêter de fumer, de boire, de manger... pendant leur journée de travail, tous n'en sont pas capables. Pourtant, il faut faire avec en terre d'islam. Le témoignage de Hichem B.S, 37 ans, cadre et père de deux garçons en bas-âge, connu pour ne pas jeûner depuis des lustres est symptomatique de l'idéologie d'une frange des non-jeûneurs tunisiens qui prévaut durant ce mois sacré. « Pour moi, la loi est claire. Je n'ai pas le droit de fumer, boire ou manger dans les lieux publics en Tunisie. On doit tous comprendre qu'il ne faut pas chercher la provocation ni éveiller la conscience des jeûneurs en mangeant devant tout le monde. » Habitué des jeux de cartes avec une chicha en soirée entre amis, il savoure carrément ce mois ! « Les soirées ramadanesques sont différentes des autres. On respecte le fait d'être privés de boissons alcoolisées pour une courte période. » Se sacrifier durant Ramadan serait-ce devenu une monnaie d'échange pour les non-jeûneurs avec toutes les permissions le restant de l'année ? Une non-jeûneuse qui ne se sent pas spécialement menacée demande à ce que la loi soit claire afin de situer les droits et les obligations de chacun. Le sentiment de devoir se justifier quand on boit de l'eau devant ses camarades ou collègues durant la journée est devenu frustrant pour nombre de personnes qui sont qualifiées de lâches. Une fois, une femme faisant le jeûne a rétorqué à son beau-frère qui ne jeûne pas pour des raisons de santé : « Tu seras puni par Dieu pour ne pas avoir jeûné ! » Le malaise existe mais malgré tout, jeûneurs et non-jeûneurs ont appris à cohabiter durant ce mois sans chercher l'escalade idéologique.