« El Bayadek » (Les pions), une nouvelle production de la Troupe de la Ville de Tunis, mise en scène par Mohamed Mokhtar Louzir, d'après un texte classique de Mustapha Fersi et Tijani Zalila, présentée en première vendredi dernier au Théâtre municipal de Tunis. Devant une salle pleine, le rideau de la bonbonnière s'est levé sur un décor simple mais significatif. Sur la scène qui servira — le temps d'un peu plus d'une heure — d'échiquier où le Roi, la Dame, les deux fous , les cavaliers et les pions évolueront différemment, permettant au public d'effleurer la vérité, le quotidien, la scène politique et le mal-être d'une société entre le poids du passé, l'embrouille du présent et la projection vers un futur incertain. Au cœur d'une scénographie épurée mais signifiante et évolutive accompagnant intelligemment l'intrigue, un texte édifiant, poétique, et une interprétation simple alerte et subtile, toute l'équipe de ce nouveau projet théâtral transforme un moment qui aurait pu n'être que sympathique en un petit bijou de spectacle. S'exprimant sur cette œuvre théâtrale, le metteur en scène Mohamed Mokhtar Louzir a précisé que ce projet était d'abord réalisé pour le compte de la radio nationale avant que la directrice de la troupe de la ville de Tunis, Mme Mouna Nouredine, ne le lui propose pour le théâtre. « Sa réalisation pour le compte de cette prestigieuse troupe me procure un réel plaisir et me permet de contribuer à enrichir le répertoire de cette institution, sachant que c'est la cinquième mise en scène que je signe pour le compte de cette troupe», a- t-il déclaré à La Presse. Adaptée d'un texte classique écrit en 1970 par les dramaturges tunisiens, feu Mustapha el Fersi et Tijani Zalila et édité en 1992, et qui reste d'actualité aujourd'hui encore, la pièce a bénéficié d'une nouvelle lecture en s'appuyant sur des personnages, qui, dans leur utopie et dystopie, vivent un drame socio-politique qui nous est très familier et auquel on est sensible à l'heure actuelle. Campée par une belle brochette de comédiens citons : Chedi Mejri, Maysa Sassi, Rania Agherbi, Zied Mechri, Ahmed Hachicha, Malek Labbaoui, Sarra Sanaâ, Yasmine Fathalli, Yosra Ammouri avec la participation de Rim Zeribi, la pièce relate l'histoire d'une famille qui a dû migrer vers le nord pour échapper à la sécheresse et les difficultés de la vie. S'installant sur une terre abandonnée et décidant de la travailler, un intrus s'empare de celle-ci et exploite la famille dans un contexte socio-politique difficile. C'est ainsi que les citoyens commencent progressivement à exprimer leur mécontentement, et se révoltent contre l'injustice et l'abus du pouvoir sauf que sur l'échiquier « la motivation des uns étant une mainmise sur le pouvoir, alors que chez les autres, c'est une reconquête de ce pouvoir censé être libérateur. » Une pièce dirigée de main de maître, portée par des esthétiques sonores et visuelles à la fois simples et soignées, au rythme d'une musique classique, semblant échappées d'un film dramatique ancien, costumes d'époque et masques vénitiens procurant une empreinte mystérieuse à cette fable intemporelle sur les rapports de force, et la bataille existant entre le gouverneur, les gouvernés et les assoiffés de pouvoir. Une œuvre poétique et intelligente que les comédiens assument et interprètent avec un certain panache et beaucoup de conviction.