Le projet de loi vise l'éradication et non la limitation de toutes les formes de violence exercées sur les femmes : physique, verbale, sexuelle, matérielle mais aussi discriminatoire incarnée par le champ politique Le projet de loi intégrale n°60-2016 relatif à l'élimination de la violence à l'égard des femmes, déposé à l'ARP par le ministère des Affaires de la femme et de la famille depuis le 27 juillet 2016, a atteint hier les dernières étapes de son cycle de vie, avant le vote final. Présidée par Mohamed Ennaceur, en présence de la ministre de la Femme, Naziha Laabidi, et de son équipe, la séance plénière prévue à 10h00 a démarré avec un retard correct de vingt minutes seulement. Les députés, par contre, assuraient un service minimum ; tout juste 94 au démarrage sur 217. C'est la commission des droits et libertés et des relations extérieures qui a été chargée d'examiner le texte de loi de 43 articles. Pour ce faire, trente-deux réunions ont été nécessaires et des amendements importants y ont été apportés. Dans sa réponse aux interventions des parlementaires, la ministre a détaillé les formes de violence exercées sur les femmes, physique, verbale, sexuelle, matérielle mais aussi discriminatoire incarnée par le champ politique. Appelant à ce que toutes soient éliminées. Un des moyens explorés qui a fait ses preuves sous d'autres cieux, les plans de développement intégrant l'approche genre. Stratégies nationales A travers un exposé lyrique sur certains passages, la ministre a rappelé le cas particulièrement problématique des femmes rurales exposées quotidiennement aux dangers de la route, entassées dans des voitures utilitaires en position debout pendant leur transport sur le lieu de travail. Mme Lâabidi a également évoqué leur précarité professionnelle. Par ailleurs, elle a illustré son propos par quelques chiffres, dont celui des trois viols déclarés par jour, précisant que les non-déclarés dépassent de très loin les cas fichés par la police. L'image de la femme façonnée par les médias a été également évoquée par la ministre qui a appelé à une meilleure valorisation de la Tunisienne. Des stratégies nationales sont en passe d'être mises en place, comme de former les jeunes couples qui envisagent de se marier sur les responsabilités et les contraintes associées au mariage. Dans le cadre d'un travail de reconnaissance nationale à l'endroit des femmes qui ont marqué l'histoire du pays, un musée leur sera consacré, apprend-on. Le débat général s'est illustré par une tonalité consensuelle. Tous les parlementaires ont appelé à défendre les acquis de la femme tunisienne dont certains devraient être largement optimisés. Ali Laraiedh a fait valoir le caractère injuste et suranné de certaines pratiques tenaces au nom de n'importe quel ordre, qu'il soit religieux, social ou coutumier. Selon le député d'Ennahdha, l'émancipation de la femme demeure le baromètre du progrès de chaque société. Mongi Rahoui du Front populaire et contrairement à la tendance générale, s'est montré sceptique et pour tout dire insatisfait de la dernière mouture du projet de loi qui consacre, selon lui, la discrimination à l'égard des femmes. Nawel Tayech de Nida Tounès a plaidé, elle, pour la mise à contribution de tous les acteurs, y compris les imams, pour lutter contre les injustices et discriminations faites aux femmes. Harcèlement dans les transports publics Ahmed Seddik du même groupe parlementaire a tenu à exprimer sa gratitude aux femmes des prisonniers politiques qui ont tant souffert pour soutenir leurs maris emprisonnés. Il a également décrit les humiliations et violences subies par les militantes au temps de l'ancien régime. Le président du Front populaire a tenu également à mettre en lumière le combat des ouvrières qui quittent leur domicile très tôt le matin, subissant harcèlement et remarques désobligeantes dans les transports publics. Il a fait remarquer, en outre, que le code pénal dans certaines de ses dispositions obéit à la mentalité patriarcale. Samir Dilou du parti Ennahdha a tenu à faire valoir l'impossibilité de construire une démocratie solide en l'absence de l'égalité homme-femme. Il n'a pas manqué d'interpeller ses pairs, y compris le président de son propre bloc parlementaire : « M. Bhiri, êtes-vous en mesure de céder votre place à une femme ? Et vous, M. Toubel ? », s'adressant au président du groupe parlementaire de Nida Tounès. L'élu nahdhaoui a fait remarquer que ce projet ne vise pas uniquement à limiter la violence faite aux femmes, mais à l'éliminer radicalement. Dans un discours se voulant franc : «Si on demandait à toutes les femmes présentes ici si elles avaient subi une forme de violence, quelles seraient donc leurs réponses ? » s'interroge-t-il. Comme cela a été reconnu par les parlementaires et par la ministre elle-même, la loi vise à mettre en place de nouvelles pratiques, mais pas seulement. Changer ces mentalités qui résistent au changement demeure une priorité. Il faudra avec ténacité et patience agir sur ce côté obscur qui accorde à l'homme le droit parfaitement intériorisé de violenter une femme, de la malmener, de la harceler, de la blesser, quand la femme se voit contrainte et forcée de ne pas réagir et de souffrir en silence. Le projet de loi contre la violence faite aux femmes porte les dispositions permettant d'éradiquer toutes les formes de violence basée sur le genre social afin de réaliser l'égalité homme-femme et de préserver la dignité humaine. Il adopte une approche globale qui va de la prévention aux poursuites pénales, les sanctions ainsi que la protection et l'assistance des victimes. Le projet englobe, comme énoncé dans son article 2, toutes les formes de violences faites aux femmes, quels qu'en soient les auteurs et les dimensions, sans qu'aucune distinction ne soit faite sur la base de la couleur de la peau, la race, la religion, l'âge, la nationalité, l'idéologie, les conditions économiques et sociales, l'état civil, l'état de santé, la langue ou le handicap. Il instaure une peine de prison à toute violence de ce genre. Les peines seront définies au cas par cas et les circonstances atténuantes seront prises en considération. Par ailleurs, les personnes ayant eu des relations sexuelles consenties avec une mineure entre 16 et 18 ans encourent désormais une peine de prison pouvant atteindre 5 ans. La commission des droits, des libertés et des relations extérieures à l'ARP avait adopté à l'unanimité, le 10 juillet, le rapport sur ce projet de loi qui comprenait un résumé des travaux et des auditions de l'ensemble des parties concernées : ministères de la Femme et de la Justice, société civile, Union nationale de la femme tunisienne (Unft), Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), l'Association parlementaires pour la famille, la Ligue des électrices tunisiennes, l'association Voix de l'enfant, la Commission de la femme à l'Instance vérité et dignité ainsi que plusieurs experts dans ce domaine.