La majorité des directeurs et des responsables visent une place sur le podium Il est de tradition de procéder, au niveau du ministère de l'Education, au classement des gouvernorats à l'examen du baccalauréat, ainsi qu'à l'établissement de la liste des lauréats nationaux. Les commissariats régionaux à l'Education en font de même concernant les lauréats régionaux et le classement des établissements dans les régions, et ce, par ordre de mérite sur la base des résultats définitifs obtenus à la session. Ces pratiques, naturellement, sous-tendues par la stimulation de l'émulation et de l'esprit de compétition ont contribué à la longue à créer une culture où l'enjeu du classement prime même sur la qualité de la performance. A titre d'exemple, dans les collèges et les lycées pilotes, la première année, beaucoup d'élèves, victimes de blocages, perdent de leur assurance, se sentent blessés dans leur amour-propre et entament une pénible traversée du désert, rien que parce qu'à la remise des notes des premiers devoirs, ils se trouvent relégués à des rangs peu flatteurs, eux qui étaient habitués à être aux premières loges dans leurs anciens écoles ou collèges. Les établissements loin d'être sur un pied d'égalité Il n'est pas rare, en effet, qu'un élève se trouve dernier de la classe avec une note de 18,5 dans une matière principale. Ainsi, gagnés par le doute, ces jeunes, appartenant pourtant à la crème de leur génération, perdent souvent pied et doivent se résigner, la mort dans l'âme, à retrouver, à la fin de l'année, un établissement ordinaire. L'obsession du classement ne se situe pas uniquement sur le plan individuel. Elle hante aussi l'esprit des directeurs et même les enseignants des établissements avec des ambitions diverses : viser une place sur le podium ou du moins éviter de figurer à la queue du peloton. Or, les établissements ne partant pas à chances égales, les résultats sont, la plupart du temps, contestés par les directeurs et les enseignants, dès lors qu'ils ne leur sont pas favorables. Il faut dire qu'ils n'ont souvent pas tort : il est injuste en effet, de comparer le taux de réussite d'un lycée où il y a une seule classe de lettres avec un autre qui en compte plus, sachant que les sections les moins performantes sont les lettres et l'économie et gestion, alors que les sections math, technique et sciences expérimentales réalisent les taux de réussite les plus élevés. Le professeur, M.Ben Amar, cite à ce propos le cas du le lycée Sadok Féki à Sfax : «Cet établissement surclasse souvent ses concurrents au niveau du commissariat Sfax 2, étant le seul à compter la section math. Il est par conséquent impossible pour le lycée Fadhel Ben Achour, avec ses classes de lettres, de tenir la comparaison avec son concurrent et d'espérer le devancer un jour dans les conditions actuelles». Les experts en éducation évoquent également d'autres facteurs d'inégalité entre les établissements scolaires, qu'ils soient liés à la situation géographico-économique et socio-culturelle : une école située dans un quartier huppé d'une agglomération urbaine à vocation industrielle et commerçante est, par la force des choses, privilégiée à de nombreux titres y compris les conditions matérielles de travail, l'expérience des enseignants et l'appartenance socio-professionnelle des parents. Confirmation d'un expert de l'éducation à la retraite: «Même dans un milieu rural et dans des conditions de vie semblables, il arrive qu'un établissement scolaire soit privilégié par rapport à son voisin. Tel est le cas par exemple du lycée Mahmoud Messâadi, à El Hencha, dont se détournaient, il y a quelques années, aussi bien les élèves que les enseignants et où les effectifs s'élevaient dans les premières années à 40 élèves alors que son voisin, le lycée secondaire à El Hencha, ne comptait que des effectifs réduits de 17 à 18 élèves par classe, dans les mêmes niveaux, enregistrant une forte demande de la part des élèves et des professeurs». Polémique autour du classement D'autres facteurs ponctuels peuvent influer sur le taux de réussite d'un établissement quelconque : par exemple, un lycée qui compte des effectifs élevés de recalés au bac lors d'une session pourrait s'en trouver favorisé la session suivante. Procéder au classement et attribuer la palme à tel ou tel établissement favorisé par une décision administrative, ou par des conditions extra-éducatives, ne manquent pas de créer un sentiment d'injustice, voire de frustration chez les enseignants et les chefs des autres établissements. La polémique autour du classement est plus aiguë au niveau des commissariats régionaux, particulièrement à Sfax, aiguillonnés qu'ils sont par la course à la première place. Deux thèses s'affrontent à ce propos concernant l'approche la plus logique à retenir pour établir ce classement. La première, défendue à Sfax 1, appelle à la prise en compte exclusive des résultats obtenus au baccalauréat par les établissements publics : «De quel droit doit-on nous pénaliser d'avoir 24 lycées privés en plus d'effectifs de candidats libres oscillant entre 300 à 400, à chaque session, alors qu'à Sfax 2, il n'y a que trois écoles libres et un effectif réduit de candidats libres ? C'est même une aberration que de considérer les résultats de candidats libres qui ne font que gonfler les statistiques des recalés, et qui abandonnent souvent à n'importe quelle étape des épreuves. Quant aux écoles dites libres, il n'échappe à personne qu'elles ont généralement des camelots du savoir», s'exclame un expert de l'éducation, avant de poursuivre : «C'est une injustice qui touche également le commissariat Tunis 1 où on dénombre plus de lycées privés que l'ensemble des trois commissariats voisins, à savoir ceux de Tunis 2, Ben Arous et Manouba. De quel droit doit-on tenir compte de variables dont la maîtrise échappe au ministère de tutelle. D'ailleurs, il est heureux que le ministère ait entendu la voix de la raison, en se référant désormais aux taux de réussite du secteur public» Cette thèse compte aussi des partisans parmi la majorité des enseignants en plus de certains médias, ces derniers étant enclins à ne publier, dans un esprit d'équité, que les taux de réussite réalisés par les établissements publics. Les établissements privés victimes de discrimination A Sfax 2, on s'indigne de cette position discriminatoire vis-à-vis des lycées privés et des candidats libres : «Non seulement ces établissements et ces candidats sont sous la supervision du ministère de l'Education, mais de plus, agir ainsi revient à commettre un déni de citoyenneté. Ces élèves ne sont-ils pas aussi Tunisiens que les autres ? De quel droit les exclure donc des statistiques ? D'ailleurs le ministère de l'Education, qui est une institution publique, a-t-il le droit de désavouer le système dont il a la charge de protéger et de promouvoir ?» Serait -il préférable, à la lumière de ce qui précède, d'abandonner le classement des établissements scolaires et des commissariats régionaux à l'Education. La question est ouverte.