Les initiatives tunisienne, des pays voisins de la Libye, française et italienne s'enchaînent. Objectif : trouver une issue viable à la crise libyenne qui perdure avec ses corollaires tels que l'instabilité sur la Tunisie et les autres pays limitrophes. Un ancien diplomate, Ahmed Ounaies, fin analyste des questions internationales, nous donne son avis sur les missions diplomatiques menées par les pays européens, également par les voisins de la Libye et en évalue l'impact. Il analyse notamment le positionnement de la Tunisie. Pr Ounaies est plutôt sceptique, et ne s'en cache pas, quant à une résolution immédiate de la crise Le président de la République Béji Caïd Essebsi s'est entretenu récemment avec Mahmoud Jibril, président de l'Alliance des forces nationales de Libye. Sur l'autre rive de la Méditerranée, le président français a organisé le 25 juillet une rencontre entre deux protagonistes, le général Khalifa Haftar et le Premier ministre Fayez Al-Sarraj. Pensez-vous que ces initiatives puissent avoir un impact sur le règlement de la crise libyenne ? Ma conviction est qu'il faut garder la tête froide du fait que les initiatives européennes, française et plus récemment italienne, au cours de laquelle l'Italie a déployé en mer Méditerranée la marine militaire, ne visent pas nécessairement le règlement de la question libyenne. Elles sont plutôt dictées par une priorité européenne qui consiste à mettre un terme à l'invasion croissante de la migration illégale qui en est une, véritablement, quoique pacifique. Ces deux initiatives sont subordonnées à des priorités européennes. Dans le sillage de la démarche européenne, si jamais un dialogue fondamental pouvait s'établir entre les principaux acteurs libyens, ce ne serait pas de refus. Mais la priorité est de répondre à un impératif de sécurité devenu extrêmement pressant aux yeux des Européens. Qu'en est-il de la position tunisienne ? L'entrevue qui a eu lieu entre Béji Caïd Essebsi et Mahmoud Jibril, président de l'Alliance des forces nationales de Libye, n'est pas la première et ne sera pas la dernière. Le président Béji Caïd Essebsi a tenu des rencontres avec des acteurs libyens, sauf avec Haftar, avec lequel il n'y pas eu d'entretiens directs mais téléphonique. Le président a également reçu une délégation dépêchée par le général libyen. Le dialogue indirect a bien eu lieu, il représente un maillon supplémentaire. Le président Caïd Essebsi, à la différence des autres voisins, demande aux Libyens de ne pas prendre en considération les conseils extérieurs quels qu'ils soient. Il les invite à ouvrir des canaux de communication et à s'entendre entre eux, en tant que dirigeants nationalistes libyens appelés à cohabiter demain dans le même pays et avec le même peuple. Par conséquent, le président Caïd Essebsi n'exclut pas de l'issue de la crise les chefs des milices islamistes ? En ce qui nous concerne, nous Tunisiens, nous n'estimons pas que nous devions prendre position, ni pour ni contre. Nous considérons que ce qui convient aux frères libyens nous convient, pourvu qu'ils arrêtent les combats et qu'ils amorcent un processus de coexistence paisible, mettant en place un gouvernement uni. Nous n'interférons pas dans les choix nationaux libyens, à la différence de l'Algérie et de l'Egypte. Ces deux pays estiment — et l'ont fait savoir — qu'une entente entre acteurs libyens qui inclurait des forces islamistes ne serait pas acceptable. Pour nous Tunisiens, cette condition signifie que la guerre en Libye ne s'arrêtera pas. En revanche, l'Egypte et l'Algérie soutiennent le général Haftar dans sa doctrine de non-admission d'éléments islamises au sein du futur régime politique libyen. Haftar est fort de ce soutien, important, bien entendu. L'initiative du président français du 25 juillet à la Celles-Saint-Cloud aurait-elle des chances d'aboutir ? A mon avis, elle n'a pas beaucoup de chances d'aboutir. Pour cause, le même jour les interviews données par l'un et l'autre, Sarraj et Haftar, ont signifié clairement que sur le fond, ils ne sont pas arrivés à trouver un accord. Celui qui résiste le plus, c'est évidemment le général Haftar qui a déclaré que certains alliés de Sarraj — il vise les milices de Mesrata — ne sont pas acceptables en tant que responsables de la sécurité nationale libyenne, et ne devraient pas faire partie du futur Etat libyen. Donc l'adoption d'un communiqué commun préparé par les Français, très habile et prudent, ne les engage en rien, au-delà d'un accord de principe. Sur le plan des compromis nationaux avec les uns et les autres, rien n'est acquis. Donc la question libyenne reste entière. Un nouvel acteur s'est invité depuis quelque temps sur la scène libyenne, ce n'est autre que Seif Al Islam. Il peut se targuer de bénéficier d'une légitimité certaine. Pensez-vous qu'il puisse jouer un rôle important, d'abord dans le règlement de la crise et par la suite dans la formation d'un gouvernement d'union nationale, par exemple ? S'il dispose d'une base politique ou militaire, il pourra jouer un rôle. Seif Al Islam se fonde sur une base tribale. Si la tribu de Khadhaf Addam qui fait partie d'un clan plus large, désigne le fils de Kadhafi son chef pour mener les négociations du règlement politique national, il jouera un rôle certain. Mais si jamais il est dépassé par quelqu'un d'autre du même clan, il sera exclu. A mon avis, il n'a pas d'avenir politique. Internationalement, il n'est pas reconnu. Lorsqu'il y aura un gouvernement uni qui contrôlera l'ensemble du territoire par le consensus, à ce moment-là il y aura des élections et le dernier mot incombera aux urnes. Dans les conditions actuelles où il n'y a pas de gouvernement uni, ce sont les acteurs du terrain qui disposent d'une base tribale ou d'une force militaire qui ont la force d'intervenir et sont reconnus. Dans ce cas, si les missions diplomatiques ont un rôle à jouer, il restera limité, sans répercussions tangibles sur la réalité libyenne intérieure, qu'en pensez-vous ? C'est en effet le cas. Pour l'instant, la balle est dans le camp libyen. Est-ce que Hafter et Sarraj et les autres acteurs sont prêts à ouvrir une conférence nationale ou bien nouer des dialogues séparés, ou alors ils ne sont pas encore prêts ? La question leur incombe. Nous n'avons pas de rôles, nous autres Tunisiens, à jouer ni de conseils à donner autre que celui de conseiller les Libyens à chercher à mettre en œuvre une entente nationale sans interférences étrangères. C'est notre conseil, nous croyons que c'est le secret de la résolution de la question libyenne.