Engagée de longue date dans les efforts en vue de mettre un terme à la situation de conflit qui persiste en Libye malgré les accords de Skhirat de décembre 2015, la Tunisie semble sur le point de mener une action notoire. Mais cela n'empêche pas des zones d'ombre... Il y a trois jours, le ministre des Affaires étrangères a reçu l'émissaire des Nations unies pour la Libye, M. Martin Kobler. A l'ordre du jour, la situation en Libye et le point sur l'initiative tunisienne en matière de règlement du conflit politique qui persiste dans ce pays... Cette initiative, par rapport à laquelle le président Caïd Essebsi joue un rôle déterminant, prévoit un sommet des pays voisins de la Libye, à savoir l'Algérie, l'Egypte et la Tunisie. D'ores et déjà, on sait qu'une réunion ministérielle devrait avoir lieu à Tunis le 1er mars prochain, en guise de préparation au sommet en question. Contacté à ce sujet, le ministère des Affaires étrangères se montre quelque peu évasif sur les détails de l'initiative et se contente de renvoyer aux déclarations du ministre, et en particulier à l'entretien accordé à notre journal en date du 6 février dernier. Mais il est clair que la démarche tunisienne cherche un double objectif : un, favoriser un climat de dialogue entre les différents protagonistes du conflit libyen et, deux, veiller à ce que les pays du voisinage fassent preuve de cohésion, d'unité de ton, dans l'accompagnement et dans la consolidation des accords obtenus. Pas question, en d'autres termes, de retomber dans les travers du passé quand des accords patiemment construits se révélaient impuissants à s'imposer sur le terrain faute de soutien ou parce qu'ils étaient tout simplement neutralisés par le jeu des influences et des allégeances contradictoires au niveau régional. L'Egypte, un partenaire incontournable Ce qui est également clair, c'est que la visite de l'émissaire des Nations unies signifie que l'initiative tunisienne bénéficie de l'aval de l'ONU et qu'elle est à un stade suffisamment avancé. Il faut dire que les concertations avec Alger et Le Caire n'ont pas cessé ces derniers temps. Avec le voisin algérien, les échanges sont tels que certains se sont offusqués au sujet d'une «diplomatie parallèle» suite au déplacement à Alger de Rached Ghannouchi. On ne reviendra pas sur cette polémique. Rappelons l'essentiel pour notre propos : notre ministre, Khemaïes Jhinaoui, a rencontré de son côté Abdelfattah al-Sissi le 20 décembre dernier et la Tunisie était également de la partie lors de la réunion qui a eu lieu au Caire le 21 janvier dernier. On ne doute pas que la venue annoncée du chef de l'Etat égyptien dans nos murs s'inscrit dans ce vaste travail de concertation, même si elle suscite par ailleurs de légitimes interrogations du côté des organisations de défense des droits de l'homme en général et des droits des journalistes en particulier : ce qui se passe en Egypte ne devrait pas nous laisser indifférents et la «raison diplomatique» ne doit pas servir ici de prétexte pour museler les voix qui estiment que les agissements liberticides en Egypte méritent plus qu'un silence évasif, voire complice. Mais faisons la part des choses : l'Egypte demeure un partenaire incontournable dans le travail de remise en selle de la Libye. Et son rôle est tellement important que d'autres questions ne manquent pas de surgir à son propos. Nous avons évoqué la réunion du 21 janvier dernier : elle a regroupé l'Algérie et la Tunisie, mais aussi les pays voisins du sud, à savoir le Tchad, le Soudan et le Niger. Voilà un panel plus large ! On apprend par ailleurs que l'Egypte envisage d'organiser une rencontre entre les deux protagonistes du différend libyen, Fayaz el-Sarraj et le maréchal Khelifa Haftar. La Russie, comme dans le conflit syrien, se verrait en outre octroyer un rôle d'autant plus important que le maréchal Haftar a été reçu le 11 janvier dernier sur le porte-avions russe Amiral Kouznetsov et qu'il bénéficie du soutien affiché de Moscou. Ce sont des éléments nouveaux dans le dossier qui nous font nous demander s'il n'y a pas, à côté de l'initiative tunisienne, une initiative russo-égyptienne. Si c'était le cas, on aurait raison de se demander également si ces deux initiatives ne risquent pas d'entrer en concurrence et, finalement, de se neutraliser, au grand dommage du peuple libyen, mais aussi de toute la région. Quels sont, en d'autres termes, les éléments de complémentarité entre les deux engagements, et y en a-t-il ? Question subsidiaire : Martin Kobler, qui est aujourd'hui encore le représentant spécial des Nations unies pour la Libye, doit son maintien à son poste au veto que les Américains ont opposé en fin de semaine dernière à la proposition du nouveau secrétaire général, Antonio Guterres, de nommer le Palestinien Salam Fayyad. Est-ce que cela ne revient pas à dire que l'Allemand Kobler n'a plus le plein soutien du secrétariat général des Nations unies ? Et est-ce que cela ne risque donc pas d'affaiblir le soutien international dont peut se prévaloir l'initiative tunisienne, en tout cas du côté occidental ?