Le vent souffle à travers les murs tremblants de notre vieille Médina de Tunis et balaye sur son passage, les poussières par lesquels le présent espérait masquer le passé. Le vent souffle et raconte toute l'histoire de ces lieux magiques. L'histoire, seule maîtresse du lieu, n'a jamais quitté son temple. Le vent souffle et fait respirer le temps, un facteur qui marque par des traces indélébiles l'espace. L'espace, finalement, scène éternelle des caprices du temps. Soudain, le vent se calme, les murs se figent, le temps retient son souffle, c'est l'homme qui vient ranimer l'espace. En effet, durant tout le mois de Ramadan dernier, des centaines de milliers de visiteurs se sont précipités vers les ruelles fatiguées de la Médina de Tunis pour redécouvrir, dans son nouvel habit, ce chef-d'œuvre de l'histoire tunisienne. Oui mais en déambulant à travers ces vestiges du temps, combien d'entre nous, jeunes, se sont demandés ce qui se cachait derrière ces noms de souks, ce qu'avaient vécu ces ruelles aux allures paisibles, comment ont-elles gardé leur allure ? En suivant les ruelles de la Médina, les plus attentifs d'entre nous entendent presque parler ses pierres. Chaque coin de cette ville raconte son histoire et exhibe, sans complexe, les cicatrices du temps, les fissures du passé et la pâleur de la vieillesse. Chaque morceau de ces endroits historiques dégage l'odeur d'un temps, la douce odeur des souvenirs, la si chère odeur de nos ancêtres. En foulant le sol de ce lieu sacré, l'assemblage maladroit de ses pierres nous oblige à marcher doucement, comme pour respecter leur paisible sommeil. Ou peut-être est-ce ce lieu qui essaierait de retenir ses visiteurs, de leur offrir un voyage à travers le temps. Oui, il faut le reconnaître, une fois entrés dans ce monde magique où se mêlent passé, présent et futur, nous avons l'impression que le temps devient une notion ambiguë. Et l'espace un théâtre de l'imagination. Un passé exigeant L'imagination c'est bien beau, mais l'histoire de ces espaces que nous traversons insouciants est réelle. Le vécu de ces murs et les séquelles de ces pierres sont vraies! C'est pourquoi, nous avons plongé dans l'histoire de ces merveilleux souks dont nous vous dévoilerons l'origine et le cursus des activités, la semaine prochaine. C'est que nous nous sommes tous demandé, à un moment ou à un autre, comment après autant d'années et autant d'événements que Tunis a connus, jamais l'infrastructure des souks et des ruelles adjacentes, datant dans sa forme actuelle de l'époque ottomane, n'a été réellement modifiée. Et par quel miracle, les façades sont pratiquement toujours les mêmes, et pourquoi la rénovation n'a jamais empiété sur l'allure générale de la Médina. Eh bien non, le passé n'a pas envoyé de super guerriers veiller sur ses traces. Pire, il a veillé à avoir le droit, marqué noir sur blanc, de ne jamais être effacé ! C'est qu'à la date du 3 mars 1920 une décision avait déjà été prise de figer le paysage de cet endroit. Le décret stipule, selon son premier article, que dans la ville arabe de Tunis, il a été établi une zone où les propriétaires, locataires et détenteurs, à quelque titre que ce soit, d'immeubles, sont soumis à diverses prescriptions concernant l'entretien et la réparation des immeubles. (Le périmètre de cette zone sera indiqué par liséré rouge sur un plan annexé au décret.). Le deuxième article de ce décret stipule qu'il est interdit aux propriétaires, locataires ou détenteurs, à quelque titre que ce soit des immeubles bordant les rues et souks compris dans la zone protégée, ou visible de ces rues ou souks, de modifier l'aspect extérieur des façades des constructions, des voûtes et toitures établies en bordure ou au-dessus des dites voies ou même d'exécuter un travail quelconque sur ces façades, voûtes, toitures, portes et fenêtres, sans une autorisation spéciale délivrée par le président de la municipalité de Tunis sur avis du directeur général des travaux publics et du directeur des antiquités et des arts. L'article 3 stipule,lui, que les demandes d'autorisation seront adressées au président de la commune de Tunis, avec plans, coupes et élévations cotés à l'appui dans la forme et dans les conditions prévues aux règlements de voirie et sanitaires de la ville de Tunis. Quant à l'article 4, il explique que la reconstitution totale ou partielle des façades existantes dont le mauvais état, dûment constaté, pourrait présenter un danger pour la circulation publique, sera effectuée de manière à ne modifier en rien leur configuration première…Aucune modification, soit dans le plan, soit dans l'aspect, ne pourra y être introduite. Il ne pourra être faite sans autorisation ni enduit, ni badigeon sur les murs ou parties des murs, sur les colonnes ou chapiteaux qui, antérieurement à la promulgation du décret, n'étaient ni enduits ni badigeonnées. L'article 5 affirme que toute nouvelle construction, élevée en bordure des voies comprises dans la zone ou visible de ces voies, devra présenter une façade de style analogue à celui des plus anciennes constructions existant dans le voisinage immédiat. En lisant ces articles, on se rend finalement compte de l'œuvre entreprise depuis longtemps pour maintenir ce temple intact. Le choix de figer ce paysage, défiant l'histoire et les rides du temps, explique la note sacrée qui enveloppe ces lieux, et le respect qui s'impose devant ces monuments, fatigués, peut-être, mais toujours debout et fiers d'exposer le pouvoir que peut avoir l'homme sur le temps. Ne seraient-ils pas le trophée et l'expression de cette victoire? Le vent souffle sur la Médina de Tunis, et les visiteurs, déjà fatigués d'avoir marché sur les dalles de ce sol imprécis, alourdis par le poids démesuré du vécu de cet endroit, continuent de contempler ces murs usés mais solides, nus mais riches de leur histoire, ridés mais encore lucides, racontant à chaque recoin, généreusement, tout leur passé. Outre l'histoire des souks, de leur noms et de leurs activités, nous parlerons la semaine prochaine des immenses travaux entrepris récemment pour que la Médina garde sa splendeur.