Il ne manquait plus que ça. Déjà que la fête de l'Aïd joue les prolongations et plombe les hommes et les administrations. Le remaniement, lui aussi, fait des siennes. Tout le monde est en stand-by. Rumeurs et remanite aiguë battent leur plein. On attend le messie. Plutôt les nouveaux messies Renseignements pris, le remaniement touchera dix-sept fauteuils ministériels et secrétariats d'Etat, nouvelles nominations et changements de casquettes compris. Soit un peu moins de la moitié du gouvernement qui compte quarante-et-un membres. Le remaniement sera annoncé peut-être demain ou après-demain. Et il devra être entériné par le Parlement. Plusieurs faits saillants s'y rattachent déjà. En premier lieu, il s'agit bien d'un remaniement d'envergure, du moins quantitativement, intronisant le deuxième gouvernement de Youssef Chahed en quelque sorte. Et l'on glosera un certain temps pour savoir s'il s'agit toujours du gouvernement d'union nationale ou s'il y a lieu de parler désormais du gouvernement de Youssef Chahed. Ce faisant, Youssef Chahed fera d'une certaine manière d'une pierre deux coups. Il remplace les trois portefeuilles ministériels vacants tout en en profitant pour mettre en place un nouveau gouvernement. L'appétit vient en mangeant, certes. Mais l'heure des bilans s'improvise aussi en procédant au remaniement. En somme, Youssef Chahed improvise, tout en prenant son temps. A ses risques et périls. Parce que cela crée déjà des remous. Parce que les partenaires du gouvernement dit d'union nationale rechignent et grincent des dents. Ennahdha : maintenir l'hégémonie Ennahdha a publié déjà un communiqué où elle recommande au chef du gouvernement de se contenter de remplacer les trois portefeuilles vacants et surseoir au changement d'envergure à l'issue des prochaines élections municipales. Elections dont la tenue est encore improbable, même si la date du 17 décembre a déjà été annoncée par l'Isie, instance supérieure indépendante des élections. Laquelle est à son tour décapitée, n'ayant pas de président et ne disposant guère de la totalité de ses membres. Ayant été reçu par le président de la République, M. Béji Caïd Essebsi, il y a deux jours, il m'a expressément assuré qu'il ne saurait signer le décret appelant les électeurs aux élections tant que le Parlement n'aura pas élu un président de l'Isie et procédé au remplacement de ses membres démissionnaires. Ennahdha veut maintenir le statut quo en fait. Elle veut coûte que coûte garder l'actuel ministre de l'Intérieur et assurer son hégémonie sur le gouvernement. Tous les indices indiquent pourtant qu'il est sur le départ. Ainsi en est-il probablement du ministre de La Défense, dont certaines positions sécuritaires ont irrité de très hauts responsables, et du ministre de la Justice, en ballottage. Ennahdha a un œil sur les perspectives brumeuses de la politique internationale où les Frères musulmans ne sont plus en odeur de sainteté, aux Etats-Unis d'Amérique notamment, comme ce fut le cas sous l'ère Obama. Lors d'une récente entrevue avec les hauts dirigeants d'Ennahdha, le président Béji Caïd Essebsi leur a assuré qu'il appartient à Youssef Chahed seul de composer le gouvernement, Ennahdha disposant déjà, selon lui, de davantage de ce qui lui est dû. Et il n'a pas manqué de le leur rappeler. Il m'a personnellement assuré aussi que Youssef Chahed gagnera à se départir des quotas partisans, nommer des hommes qualifiés, annoncer les grandes réformes et expliquer aux citoyens le poids des défis et l'étendue des sacrifices au besoin. Nida : régner et gouverner Le parti Nida Tounès n'est guère en reste. Si Ennahdha veut restreindre, il tient lui à élargir. Il a fait savoir à Youssef Chahed qu'il entend, conformément aux résultats des élections de 2014, disposer de la majorité des sièges gouvernementaux. En d'autres termes, régner et gouverner à la fois. Et s'assumer, se positionner, en fonction de cela lors des prochains scrutins. Pour Nida Tounès, il est inconcevable que le parti majoritaire s'abstienne d'exercer sa majorité en quelque sorte. Un argument qui tient la route en fait, Ennahdha disposant actuellement de la majorité dans le gouvernement dit d'union nationale tout en n'ayant pas remporté les dernières élections législatives et présidentielle. Cela sans parler d'autres partis tels que Afek Tounès ou Machrou Tounès qui soufflent le chaud et le froid. Eux aussi ont leurs candidats pour le gouvernement dans sa nouvelle mouture. Machrou Tounès envisage même de revenir dans l'enceinte des partis signataires du Pacte de Carthage ayant présidé à la formation du gouvernement dit d'union nationale, en cas d'approbation de ses candidats. Cependant, Machrou Tounès et Afek Tounès se positionnent dans les interstices, paradoxalement. Ils soutiennent le gouvernement, s'avisent de s'y renforcer ou de le réintégrer, tout en organisant le ban et l'arrière-ban d'une nouvelle opposition qui se profile avec notamment Machrou Tounès, Afek Tounès, Tunisie d'abord, l'Alternative et quelques salières. C'est dire que, pour les dix-sept fauteuils ministériels, il y a des manœuvres de coulisses, des astuces légales, voire une véritable guerre de tranchées. De quoi conforter Emmanuel Levinas qui disait que la politique c'est l'art de prévoir et de gagner par tous les moyens la guerre.