Le remaniement ministériel tant attendu a, finalement, été annoncé, hier en début d'après-midi, par le chef du gouvernement, Youssef Chahed, à l'issue de son audience avec le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Il a été plus vaste que prévu et a touché treize ministères et sept secrétariats d'Etat. Chahed avait besoin de remanier son équipe non seulement pour combler des postes vacants mais parce qu'il faut booster l'action du gouvernement et lui donner un second souffle. Fruit de longues concertations avec les signataires du « Document de Carthage », mais également avec le chef de l'Etat, il est considéré comme celui de la dernière chance, aussi bien pour le gouvernement que pour le pays de manière générale, étant donné la crise profonde dans laquelle il s'enlise de jour en jour. La part belle à Béji Caïd Essebsi Toutes les conjectures et tous les pronostics ont été pratiquement démentis. On le disait déjà, le chef du gouvernement n'était pas seul maître de ses choix et il devrait composer avec ses soutiens « naturels » pour ne pas les offusquer. C'est pourquoi il s'en est remis au président de la République pour l'aider à apaiser les tensions et tenter d'amadouer les récalcitrants. Béji Caïd Essebsi a usé de tout son poids pour que le remaniement qui a tenu la classe politique en haleine durant tout l'été soit annoncé au début de la nouvelle année politique et sociale. Il porte, d'ailleurs, le sceau du chef de l'Etat qui a placé quatre de ses proches à la tête des ministères clés. D'abord Abdelkrim Zbidi à la tête de l'un de ses domaines réservés, la défense, un poste que ce dernier a déjà occupé entre janvier 2011 et juillet 2013 dans les gouvernements Essebsi et Jebali. Il avait refusé de rester au gouvernement après l'assassinat du leader Chokri Belaïd. Il était pressenti pour diriger le premier gouvernement issu des dernières élections législatives d'octobre 2014, avant que le choix ne se porte sur Habib Essid. Béji Caïd Essebsi a gardé son ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui, un homme de confiance, qui était son conseiller diplomatique à Carthage. Il a, également, placé son ancien conseiller économique Ridha Chalghoum, récemment nommé directeur du cabinet du chef du gouvernement, à la tête des Finances, un ministère clé. Ancien ministre des Finances, il retrouve un département qu'il connaît bien. Il a, en effet, présidé le Conseil du marché financier et a été chef de cabinet du ministre, directeur général des avantages fiscaux et financiers et directeur de l'épargne et du marché financier. C'est un message fort que la priorité sera, désormais, accordée au secteur des finances qui s'engouffre dans le fond. Le directeur général de l'Institut des études stratégiques, Hatem Ben Salem, revient, à son tour, au ministère de l'Education qu'il a chapeauté entre 2008 et 2011 et où il avait initié une réforme qui, malheureusement, n'a pas abouti. Docteur d'Etat en droit de la faculté de Droit et des sciences politiques et économiques de Paris et agrégé en droit public de la faculté de droit et des sciences politiques et économiques de Tunis, il a, également, occupé des postes diplomatiques en tant qu'ambassadeur ou encore en tant que secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Un autre conseiller du chef de l'Etat Slim Chaker récupère le ministère stratégique de la Santé, un secteur malade. Membre fondateur de Nida Tounès, il a été secrétaire d'Etat au Tourisme puis ministre de la Jeunesse et du Sport dans le gouvernement Béji Caïd Essebsi en 2011, avant d'être nommé à la tête du ministère des finances dans le premier gouvernement Habib Essid. Slim Chaker aura beaucoup de pain sur la planche. Les deux femmes protégées de Béji Caïd Essebsi, Selma Elloumi et Majdouline Cherni, ont été maintenues à leurs postes, le Tourisme et la Jeunesse et Sport. La part de Youssef Chahed et des autres Youssef Chahed a su résister à toutes les pressions visant à évincer ses deux ministres les plus proches, le porte-parole Iyed Dahmani et le ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles et des droits de l'Homme, Mehdi Ben Gharbia. Ce qui constitue un bon point pour lui. De même qu'il a placé l'un de ses fidèles, Lotfi Brahem, à la tête du département sensible de l'Intérieur. De formation militaire, le directeur général de la garde nationale a été aux avant-postes de la guerre contre le terrorisme et la corruption. Il a également promu l'un de ses bras droits, Mabrouk Kourchid, au rang de ministre à la tête des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières. Nida Tounes a réussi tant bien que mal à imposer quelques-uns de ses choix, en cooptant Radhouane Ayara à la tête d'un ministère stratégique, le Transport. Cet ancien secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et ancien gouverneur au Kef est réputé proche du directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd Essebsi et du dirigeant du parti et son coordinateur à l'étranger Abderraouf Khammassi. Il remplace un autre membre de Nida, Anis Ghedira, dont l'échec à la tête de ce département est avéré. Il a, aussi, obtenu deux secrétariats d'Etat, celui auprès du ministre des Affaires étrangères chargé de la diplomatie économique confié au député Hatem Ferjani et le secrétariat d'Etat auprès du ministre des Affaires sociales en charge de l'émigration et des Tunisiens à l'étranger accordé à Adel Jarbouii. Le mouvement Ennahdha ne sort pas affaibli comme on l'avait laissé entendre. Au contraire, il a conforté sa position au gouvernement. Il a obtenu un département stratégique, celui du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale confié à son secrétaire général Zied Laadhari qui cède l'Industrie et les petites et moyennes entreprises à son collègue du mouvement, Imed Hammami. Son troisième ministre Anouar Maârouf est maintenu à la tête des Technologies de l'information et de l'Economie numérique. Mieux, le mouvement de Rached Ghannouchi a réussi à placer l'un des hommes d'Ennahdha, Taoufik Rajhi comme ministre auprès du chef du gouvernement chargé des grandes réformes. Ainsi, il contrôle la quasi-totalité des départements à caractère économique. Le troisième partenaire du gouvernement, le parti Afek Tounès, n'a pas, non plus, été lésé puisqu'il a perdu la santé mais obtenu l'Emploi et la Formation professionnelle confié à Faouzi Abderrahmane. Même s'il a perdu le secrétariat d'Etat à la Jeunesse détenu par Faten Kallel, il a gardé Hichem Ben Ahmed, muté au Commerce. On peut dire la même chose d'Al Massar, un parti sans aucun poids mais dont le secrétaire général Samir Bettaieb a gardé le département de l'Agriculture malgré un bilan mitigé. Soutenu par l'Ugtt, il a résisté à la bourrasque du remaniement. La centrale syndicale a tout de même réussi à faire glisser le nom de Khaled Kaddour, fils du défunt grand syndicaliste Houcine Ben Kaddour et frère du membre du bureau exécutif Anouar Ben Kaddour. Ancien directeur général de l'énergie et ancien P.D.G. de la Sitep, il est connu pour sa parfaite connaissance du secteur. Il est, également, auteur de plusieurs études dans le domaine des projets stratégiques sur l'énergie et les hydrocarbures aux Etats-Unis. Sur un autre plan, la structure du gouvernement est pratiquement restée la même avec seulement la séparation entre les ministères de l'Industrie et du Commerce, fusionnés dans le gouvernement sortant. La coalition gouvernementale garde la même ossature, avec les mêmes partis qui la composent dont essentiellement Nida Tounès, Ennahdha et Afek. Force est, enfin, de constater le retour d'anciens ministres de Ben Ali, reconnus pour leur compétence et leur expérience dans les secteurs qu'ils vont diriger. Il s'agit du ministre des Finances Ridha Chalghoum, du ministre de l'Education Hatem Ben Salem et du ministre de la défense Abdelkrim Zbidi qui était déjà ministre entre 2011 et 2013.