Guzman raconte avec passion, témoigne en même temps de sa propre histoire, d'une expérience vécue, de cette époque où l'on pouvait croire avec ardeur en un monde juste et libre. Quarante-quatre ans après le coup d'Etat militaire du 11 septembre 1973, la Maison de culture Ibn Rachiq, à Tunis, a abrité, mercredi dernier, la projection du film documentaire « Salvador Allende ». Organisée par l'Alba Malta North Africa Coordination, cette séance de projection a vu, entre autres, la participation de l'ancien ambassadeur du Chili en Algérie sous le gouvernement d'Allende. Une belle manière de se remémorer cette date marquée par le renversement du président socialiste démocratiquement élu à l'époque, à l'instigation des Etats-Unis. Réalisé en 2004 par le Chilien Patricio Guzman, « Salvador Allende » est considéré comme une référence incontournable pour la culture politique et l'analyse de l'Amérique latine contemporaine. Relatant le parcours de Salvador Allende, fondateur du Parti socialiste chilien et président du Chili de 1970 à 1973, le réalisateur revient sur ces trois années de présidence et dresse un portrait d'Allende, grâce aux témoignages de ceux qui l'ont connu et approché depuis son plus jeune âge et dans les coulisses du pouvoir. Il rend un bel hommage au leader et exhume l'ère des espoirs d'égalité, de justice et d'aspiration au bonheur, incarnée pour toute une génération de Chiliens par ce révolutionnaire pacifiste. Trente ans après le renversement de ce dernier, le cinéaste exilé Patricio Guzman revient à son pays natal pour raviver les souvenirs de cette expérience politique pleine de passion sociale, d'espoir et de tragédie. Comme le note Naomi Klein dans « La stratégie du choc », Washington a toujours considéré le socialisme démocratique comme une plus grande menace que le communisme totalitaire, qui, facile à diaboliser, constituait un ennemi commode. Dans les années 1960 et 1970, la méthode privilégiée pour faire face à la popularité gênante du développementalisme et du socialisme démocratique consistait à les assimiler au stalinisme en gommant délibérément les différences très nettes entre les conceptions du monde qu'ils incarnent. Aux premiers jours de la croisade de Chicago, on trouve un sinistre exemple de cette stratégie dans les documents déclassifiés concernant le Chili. Malgré la campagne financée par la CIA dans laquelle Allende était présenté comme un dictateur à la mode soviétique, Henry Kissinger, dans une note de service adressée à Nixon en 1970, exposait les véritables craintes de Washington au sujet de sa victoire électorale: « L'élection et la réussite d'un gouvernement marxiste au Chili auraient certainement un impact sur d'autres régions du monde — et en particulier l'Italie — et pourraient même servir de précédent. L'imitation du phénomène ailleurs transformerait en profondeur l'équilibre du monde et donc la place que nous occupons». En d'autres termes, il fallait éliminer Allende avant que la troisième voie qu'il représentait ne se répande. Fondateur du Parti socialiste chilien, marxiste convaincu, Allende était avant tout un humaniste, un « révolutionnaire pacifiste ». Candidat à l'élection présidentielle à trois reprises, en 1952, en 1958 où il frôle la victoire, en 1964 enfin, il est à chaque fois battu. Il reprend, néanmoins, la lutte. Le 4 novembre 1970, il est élu Président de la République et s'engage avec ardeur dans la transformation socialiste de son pays, obsédé par le respect pointilleux de la démocratie et de ses institutions Cet engagement pour le respect de la loi, pour la démocratie, va lui coûter la vie, après le coup d'Etat du 11 septembre 1973 mené par Pinochet et piloté par la CIA. « Faites tout ce dont vous avez besoin pour l'endommager et le faire tomber », ce sont les mots de Richard Nixon adressés au secrétaire d'Etat Henry Kissinger et aux dirigeants de la CIA... Salvador Allende est assassiné en défendant avec les armes la liberté du Peuple chilien. Le Chili plonge alors et durant plus de 17 ans dans le cauchemar du fascisme et de la dictature. Tout en réunissant tous les ingrédients d'un documentaire classique, Guzman, avec une forme libre, faisant appel au passé en assemblant des images d'archives riches et frappantes et autres témoignages, ne prétend à aucune forme d'«objectivité». Il s'adresse à nous à la première personne du singulier, lui qui fut un fervent partisan d'Allende et dut s'exiler pendant la dictature de Pinochet. Il met, ainsi, au jour et redessine les traits d'une utopie d'un doux rêve brutalement interrompu. Il raconte avec passion, témoigne en même temps de sa propre histoire, d'une expérience vécue, de cette époque où l'on pouvait croire avec ardeur en un monde juste et libre.