Par M'hamed JAIBI Au moment où le président de la République lui-même met officiellement en débat l'épineuse question de l'égalité effective entre femme et homme, il est intéressant de passer en revue les points de vue des religieux et l'attitude des différents discours «islamiques», aussi bien dans les mosquées que chez les théoriciens, les idéologues et les exégètes ou «scientifiques de la religion». Et c'est à l'initiative de la Fondation Ahmed-Tlili pour la culture démocratique que nous avons eu droit à un tel «affrontement» d'idées, de convictions et de perspectives consensuelles, dans un pays qui, dès la prime indépendance, avait réussi à impliquer des religieux dans une interprétation moderniste des textes coraniques, allant jusqu'à interdire la répudiation et la polygamie. Un discours religieux attentif L'objectif est ainsi de former les imams à développer un discours religieux appelant au respect de la dignité de la femme et à la consolidation de son rôle humain et social dans la société, à travers un combat quotidien dans les mosquées contre la profonde ségrégation dont elle est l'objet dans les us et les convictions sociales traditionnels qui sont ancrés. Car malgré les progrès législatifs qui accordent à la femme tunisienne toute sa citoyenneté, un discours ségrégationniste persiste et reste répandu, que ce soit au nom de la religion, de la morale ou de la tradition. D'où l'intérêt de tirer avantage de l'influence du discours religieux pour le rationaliser et agir à réformer certains comportements sociaux violemment discriminatoires à l'égard de la femme. Une approche sociologique à critiquer Mais le séminaire ne s'est pas focalisé sur l'héritage ou le mariage mixte, mais a appréhendé la dignité de la femme dans une approche sociologique globale qui implique et interroge le discours religieux pour sensibiliser ses concepteurs au poids de la tradition et des us ancestraux aussi bien en Orient qu'en Occident. Car l'emprisonnement institutionnel de la femme, sa diabolisation, la profonde discrimination qu'elle subit sont bien antérieurs à l'islam et à toutes les religions révélées comme l'atteste le droit romain qui lui interdit de quitter le foyer familial et la discrimine fortement en matière d'héritage. Entre «philosophie» et texte religieux Le débat s'est finalement focalisé entre l'analyse moderniste «philosophique» de Hamadi Jaballah et l'approche religieuse éclairée du conférencier représentant le syndicat des Affaires religieuses, les autres intervenants étant devenus, de ce fait, les arbitres ou les modérateurs d'un dialogue assourdi par les convictions dogmatiques ayant fusé de la salle. Pour Jaballah, la révélation de l'Islam est intervenue dans une contrée arriérée où prévalaient des pratiques sociales inhumaines, particulièrement vis-à-vis de la femme qui était vendue sur les marchés d'esclaves et totalement privée d'héritage, sachant que les bébés femelles étaient enterrés vivants. D'où la violence de la radicale transformation apportée par l'Islam, lorsque le Prophète Mohamed édicte au nom d'Allah l'égalité de tous les musulmans, hommes et femmes. Sachant que plusieurs sourates sont consacrées à la femme et louent son rôle et son statut dans la société islamique. Et ces fonctions ont évolué, justifiant une lecture qui s'appuie plus sur une approche sociologique du vécu du Prophète que sur les indications à valeur législative. Suivre l'exemple des juifs et des chrétiens Et le penseur d'appeler à une mise à jour semblable à celles opérée par les juifs et les chrétiens qui, historiquement, étaient au plus bas en matière de statut de la femme. Et il cite un texte historique français dénonçant la tradition anglaise qui voyait le mari vendre sur le marché l'épouse qu'il répudiait. Quant au conférencier du syndicat des Affaires religieuses, tout en rappelant les apports civilisationnels nés de l'Islam, notamment au profit de la femme, il va longuement citer les enseignements du Coran et de la Sounna en matière de promotion de la dignité de la femme et de son statut social. Mais son approche restera moderniste, favorable à l'émancipation et à un rôle plus important dans la vie active, la société et la responsabilité politique. Cependant, s'agissant de l'égalité en héritage, il considère qu'il s'agit d'une diversion qu'il est préférable d'ajourner, puisque, dira-t-il, «les normes préconisées par le Coran» sont loin d'être respectées par nos hommes, qui continuent à priver leurs sœurs de tout legs légitime. M.J.