La tomate défraie la chronique ces jours-ci, non pas par ses apports culinaires ou nutritionnels, ni son historique fort récent dans notre cuisine tunisienne, mais par les prix exorbitants qu'elle affiche ces derniers temps. Comme si l'on avait décidé de blanchir nos plats traditionnels habituellement garnis aux tomates. Pour en savoir plus, on aurait tendance à s'adresser plutôt au ministère de l'Agriculture ou au syndicat des agriculteurs, ou encore à l'Utap, mais en fait, ce faux fruit se trouve ballotté entre trois secteurs qui, tous les trois, le «maltraitent» à leur façon : le commerce, l'industrie et l'agriculture Bien évidemment, c'est son aspect produit commercial de grande consommation qui intéresse le grand public et le conduit à se préoccuper des causes ayant conduit à cette flambée des prix qui encourage à se convertir aux pâtes au beurre, voire à la margarine. Car lorsque l'on voit la tomate outrepasser les trois dinars dans certains quartiers, l'on en arrive à se demander si le saumon ou du caviar ne feraient pas meilleure affaire. Le fait est que la raison de ces sommets est multiple, impliquant autant le marché que l'industrie et les paysans. Car, si, incontestablement, les circuits commerciaux se taillent la part du lion des marges bénéficiaires cumulées auxquelles n'aura jamais droit l'agriculteur, la désaffection que peuvent montrer les cultivateurs à l'égard de la tomate conduit sans faute à un déséquilibre entre offre et demande sur le marché, et va gonfler les prix. Et les statistiques montrent, chaque année, une nette augmentation de la consommation des tomates par les Tunisiens. Or cette demande de la part du public conduit, lorsqu'elle est déterminée et soutenue, à une hausse dés prix également déterminée. A moins de voir les décideurs ouvrir la vanne de l'importation. Ce à quoi on n'a songé que ces tout derniers jours, et avec beaucoup d'inexactitude et de maladresse. Relancer la production Pour éviter l'importation en devises d'une denrée qui représente une valeur sûre de notre agriculture modernisée, avec ses périmètres irrigués et ses serres conditionnées, il faudrait en relancer la production. Mais certaines conditions sont indispensables, outre la maîtrise des circuits de distribution que l'on a plaisir à confondre, à chaque crise, avec les méchants «spéculateurs» des années soixante et soixante-dix. En premier lieu, il s'agit d'évaluer l'impact et la réalité des disponibilités en eau dans les zones classiques de culture de la tomate, soit au Nord-Ouest et au Cap-Bon. Ensuite, si ces zones se trouvent être effectivement saturées, réfléchir à booster la production dans les nouvelles régions de la tomate, et notamment dans le triangle Gafsa-Kasserine-Sidi-Bouzid où les eaux profondes sont abondantes, comme nous l'explique Mohamed Ali Ben Salha, ingénieur agronome reconverti à l'industrie. Mais l'exploitation des eaux profondes a un coût et la culture maraîchère est une agriculture mécanisée nécessitant un personnel qualifié dont ces régions sont insuffisamment pourvues. Une meilleure disponibilité des terres La culture de la tomate est ainsi désormais une option stratégique dans ces régions qui ont amené la révolution et qui sont les tristes et impuissants champions du chômage. Mais, dans ces contrées qui attendent le développement, se pose sur de grandes superficies un ardu problème de propriété de la terre ou de concordance entre exploitants et propriétaires où même l'Etat est parfois impliqué. Cela nécessiterait, sans doute, une bonne réforme agraire aux antipodes de celle des années soixante. En fait, afin de booster vraiment cette vocation de production de tomates maraîchères, il serait fort utile de voir les jeunes de ces régions se prendre en charge et revendiquer les conditions pouvant garantir le succès de tels projets promis à la prospérité. Et ce en assurant, à la fois, la disponibilité des terres, des crédits d'investissement et des techniciens qui peuvent, d'ailleurs, être eux-mêmes les exploitants, moyennant des formations adéquates sur place dans ces régions. Une activité attractive à optimiser Un fait est confirmé, c'est que la relance de la production de tomates passe désormais par une implication du fameux triangle Gafsa-Sidi-Bouzid-Kasserine. Mais cette relance doit impérativement être favorisée, affirment les agriculteurs, par une meilleure rentabilité de cette culture dont le coût de production augmente sans cesse (eau d'arrosage, semences, engrais, ouvriers agricoles, techniciens...) mais dont les prix sur le marché sont contrôlés, et parfois même manipulés par de grands manitous invisibles, entre grossistes et intermédiaires divers. Ce que demandent aussi les agriculteurs, c'est que le prix de la «tomate industrielle», celle vendue aux industriels de la conserve, fixée à 140 millimes il y a tant d'années, soit sérieusement revalorisé. Or, nous dit-on, ni l'Utap ni le syndicat n'évoquent cette question épineuse. Pourtant, les conserveries sont conscientes du ridicule de la situation. En juin, juillet et août, des files monstrueuses de camions débordant de tomates attendent leur tour, parfois une nuit entière, pour livrer leurs tonnes de cargaison à 140 millimes le kilo, alors que dans les marchés de fruits et légumes la tomate atteint parfois les 3 dinars. Et les industriels ne voudraient pas que «leurs» producteurs de tomates laissent tomber cette activité qui fait leur beurre. Mais ils se promettent, bien sûr, d'augmenter conséquemment, alors, les prix des boîtes de conserve. Entre les industriels, les agriculteurs et les intermédiaires qui jettent leur dévolu sur les marchés de gros, une bonne explication s'impose. A laquelle pourrait bien s'associer l'Organisation de défense du consommateur. Mais, notre petite enquête le montre bien, l'Etat pourrait dynamiser décisivement le secteur de la tomate, cette grande réussite de la Tunisie.