Les Tunisiens s'apprêtent à élire 350 maires et plus de 7.200 conseillers municipaux en 2018, alors que les tractations se poursuivent au sein et autour de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) Les tractations se sont poursuivies, vendredi, à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), s'agissant de l'élection d'un nouveau président de l'Instance électorale. Il n'y a, donc et jusque-là, pas de réveil après des années d'ensablement dans les luttes intestines. Tout autant qu'il n'y a pas de feuille de route claire s'agissant de l'institution d'une bonne gouvernance locale. Laquelle gouvernance locale ou encore territoriale se veut une étape essentielle vers la stabilisation, la reconstruction et, au final, la transition vers la reprise socioéconomique et la croissance. Développement local et obstacles posés Approché par La Presse, Néji Baccouche, Professeur de droit public et directeur du Centre d'études fiscales à la faculté de Droit de Sfax, revient sur deux problématiques inhérentes à la gouvernance locale en temps de crise : confiance des gouvernés en leurs gouvernants et disparité régionale. «Je ne divulgue pas de secret en reconnaissant qu'il y a une crise de confiance entre gouvernés et gouvernants centraux et/ou locaux. D'ailleurs, les responsables locaux actuels ne sont pas élus. Reste à dire qu'il est possible de restaurer cette confiance», parie l'universitaire rencontré, hier à Tunis, à l'occasion d'une rencontre-débat sur la gouvernance locale, organisée par l'Instance de prospective et d'accompagnement du processus de décentralisation. De ce point de vue, le spécialiste préconise une conduite « exemplaire » des gouvernants-lauréats du verdict des urnes. Une exemplarité qu'il rattache à l'acquittement des conseillers municipaux de leur devoir, notamment le paiement de leurs impôts. «Comment voulez-vous que les citoyens locaux payent leurs impôts au moment où leurs gouvernants s'abstiennent ?», s'interroge Néji Baccouche. Pour lui, les élus locaux sont appelés à servir d'exemple en matière de respect des lois et des fondements de la bonne gouvernance locale. Tel que l'appréhende l'analyste, la fraude est un travers caractérisant la conduite du gouvernant dans l'imaginaire collectif tunisien. D'où la nécessité d'instituer une structure chargée du contrôle de l'évolution du patrimoine de tel ou tel responsable, et au niveau central et au niveau local. Mesures incitatives, équilibre régional A la question de savoir si les disparités régionales ne paraissent pas prospérer contre toute culture de bonne gouvernance locale, l'universitaire rétorque que l'espoir de voir émerger, enfin, un Etat fort et des responsables locaux garants des intérêts et soucieux des aspirations de toutes les composantes du tissu social de leurs communes et agglomérations demeure tributaire de certaines conditions. Dans un pays où le taux d'analphabétisme varie entre 10% et plus de 40% suivant les régions, selon des données officielles, les meilleurs palliatifs, sur le court terme sont à penser par le gouvernement central. «Il faut que le gouvernement et le Parlement adoptent des mesures incitatives pour que les compétences aillent travailler et s'installer dans les régions défavorisées. Il faut, pour cela, donner des indemnités conséquentes à l'ingénieur, à l'urbaniste et au juriste entre autres pour l'encourager à aller s'installer dans les régions de l'intérieur du pays. Car sans indemnité de décentralisation, l'on peinera à donner du cœur à l'ouvrage dans les tranchées», alerte le professeur Baccouche. Tantôt jouant les Cassandre, tantôt mettant de l'eau dans son verre de thé, l'universitaire focalise sur les disparités régionales en matière d'enseignement, en parlant d'universités de «seconde zone», incapables de produire des diplômés qualifiés et aptes à assumer des responsabilités. La fuite des cerveaux à destination des pays qui rémunèrent plus est un autre obstacle qui se pose à la gouvernance locale, de l'avis de Baccouche. «Les Tunisiens qualifiés qui pourraient aider à la relève, au redressement économique et social du pays, sont en train de fuir vers les pays du Golfe. Bien que ses moyens soient limités, la Tunisie doit valoriser ses compétences en vue de lutter contre leur fuite vers d'autres régions du monde», préconise l'analyste. Mécanismes indissociables Force est de constater, au demeurant, que dans une démocratie apathique, la gouvernance locale pourrait être la plus efficace pour capitaliser les aspirations à une meilleure qualité de vie, à condition de la percevoir comme étant un ensemble de piliers et mécanismes indissociables. Autrement, on continuera à appréhender ce modèle de gouvernance comme on regarde une pièce à travers le trou de la serrure. Une bonne gouvernance locale repose, du reste, sur un faisceau de piliers et mécanismes, à savoir des élections régulières, une représentation et une participation justes, la réactivité, l'efficacité et l'efficience, l'ouverture et la transparence, l'Etat de droit, le comportement éthique, les compétences et les capacités, l'innovation et l'ouverture d'esprit face au changement, la durabilité et l'orientation à long terme, une gestion financière saine, les droits de l'Homme, la diversité culturelle et la cohésion sociale et, finalement, l'obligation de rendre des comptes. N'en déplaise aux adeptes de l'adage qui va lentement, va sûrement, il est temps de rattacher au train des réformes qui urgent le wagon de la gouvernance locale.