Il n'est point de démocratie locale sans décentralisation du pouvoir. Telle est la principale conclusion des travaux de la première séance du colloque international qu'organise le Centre de formation et d'appui à la décentralisation (CFAD) du 30 juin au 2 juillet. A l'ouverture des travaux de ce colloque, hier, à Hammamet, et en présence d'éminents experts et professeurs tunisiens et étrangers, M. Lotfi Tarchouna, maître de conférences à la faculté de Droit de Sousse, a présenté un exposé intitulé «Place de la décentralisation dans un processus démocratique». Dans son intervention, le conférencier a fait remarquer que la décentralisation entretient des rapports très étroits et consubstantiels avec la démocratie, étant une réalité politico-administrative. «Elle consacre l'intrusion du politique dans l'administratif et vice-versa», a-t-il appuyé dans ce sens. Dans la même optique, M.Tarchouna a observé que la décentralisation reproduit à son niveau institutionnel et territorial des techniques, des principes et des valeurs garants de la démocratie. La décentralisation, a-t-il précisé, implique de confier à l'Etat les compétences d'intérêt national et à l'administration décentralisée les compétences d'intérêt local. De la sorte, elle participe au démantèlement des bases de l'autoritarisme. Abondant dans le même sens, l'intervenant a affirmé qu'un régime politique autoritaire agit négativement sur la décentralisation en brouillant ses tâches et repères et en chargeant ses structures de missions qui dépassent le domaine de ses compétences. Se penchant sur le statut de la décentralisation dans la Constitution tunisienne, M.Tarchouna a indiqué que cette dernière appréhende la décentralisation à travers ses supports organiques. C'est qu'elle consacre son huitième chapitre aux collectivités locales. En effet, l'article 71 dispose que «les conseils municipaux, les conseils régionaux et les structures auxquelles la loi confère la qualité de collectivité locale gèrent les affaires locales dans les conditions prévues par la loi». Ainsi, les collectivités locales s'identifient à l'administration décentralisée. D'où il convient d'admettre que le constituant tunisien n'a pas saisi les collectivités locales en elles-mêmes, mais plutôt à travers leurs conseils délibératifs, a soutenu le conférencier. Débattant des moyens et mesures favorables à la décentralisation, le professeur universitaire s'est attardé sur le modèle de développement économique qui doit-être adapté aux compétences et au potentiel de la région dont il relève. Un modèle de développement basé non seulement sur la croissance mais aussi sur le développement économique, social et culturel. Décentralisation et déconcentration Dans sa conférence «Processus et méthodes de la décentralisation», Mme Réjane Huouneng, experte de l'Agence française de développement (AFD), a noté que la décentralisation peut être considérée comme un processus politique qui consiste à définir des niveaux inférieurs du gouvernement. Ces niveaux doivent-être dotés de domaines de responsabilité et des moyens financiers de les assumer. Sans pouvoir de décision au niveau des collectivités locales, on ne peut parler de décentralisation, l'on parle plutôt de déconcentration, a-t-elle ajouté. Dans sa définition du concept de décentralisation, Mme Huouneng a précisé qu'il s'agit d'une désorganisation possible de l'action de l'Etat sur le territoire. En outre, la décentralisation coexiste naturellement avec les autres modalités d'organisation que sont la déconcentration et la dévolution. S'attardant sur les trois grands chapitres marquant le processus de décentralisation, elle a évoqué trois axes, à savoir l'organisation administrative et politique du territoire, la décentralisation des compétences et les ressources des niveaux inférieurs du gouvernement. Ces trois axes sont fortement reliés entre eux et dépendent du découpage du territoire et des modalités de financement de chacun d'entre eux. Or il se trouve que le découpage peut ne pas correspondre avec la réalité économique du pays, a indiqué l'intervenante, avançant la possibilité de réforme du moment que l'on se rend compte de ses défaillances. «Il y a toujours des solutions». Revenant sur l'organisation politique du territoire, elle a réalisé que l'on parle à ce niveau de deux paramètres, en l'occurrence l'autonomie de décision par rapport au centre et le contrôle des collectivités locales. Ce qui implique par la suite la mise en place des mécanismes de recevabilité auprès des citoyens. S'intéressant à la typologie de la décentralisation dans le monde, Mme Françoise Brunet, experte à la Banque mondiale, a affirmé que d'un point de vue politique, la décentralisation est une réforme qui satisfait la volonté du gouvernement de même que des citoyens d'élargir le champ de la démocratie. Elle consiste en un transfert de pouvoirs, c'est-à-dire de compétences et des ressources financières nécessaires à son exercice. Tout autant qu'elle permet ainsi aux représentants élus des populations de disposer d'un vaste champ d'initiatives et de responsabilités. Aussi, la décentralisation est définie dans cette perspective comme tout acte à travers lequel un gouvernement central cède formellement les pouvoirs aux acteurs et institutions de niveaux inférieurs dans la hiérarchie politico-administrative et territoriale. Ce transfert de pouvoirs, a-t-elle souligné, implique la création d'un cadre de prise de décision à l'intérieur duquel une variété d'acteurs peut exercer une certaine autonomie par rapport au pouvoir central. Abordant le cas de la Tunisie, M. Néji Baccouche, ancien doyen de la faculté de Droit de Sfax, a appelé à éviter de trop rêver, du fait qu'entre théorie et pratique, il est des distances à parcourir. C'est que la Tunisie a son propre héritage politico-social et culturel et ne peut pas accepter les formules et approches toutes prêtes. Il a avancé dans ce sens que le régime de Ben Ali a fait des responsables locaux «des guignols dépourvus de pouvoir de décision». Ce qui a fait des administrations de proximité des marionnettes entre les mains du pouvoir central. Dans la même perspective, il a annoncé que du point de vue du texte constitutionnel, le thème de la décentralisation en Tunisie remonte à 1958. Toutefois, le pouvoir a créé alors une illusion de décentralisation loin d'être la vraie. De là, cette décentralisation évoquée dans le texte n'a jamais servi comme contre-pouvoir, en l'absence d'une véritable indépendance financière par rapport au pouvoir central.