A la force du propos s'ajoute celle du traitement et de la forme avec un parti pris narratif et un choix esthétique qui dénotent le grand talent de sa réalisatrice Tatiana Huezo. Le rendez-vous est fixé chaque mardi au cinéma Mad'art Carthage, avec les propositions cinématographiques du cinéclub Cinéfils. La dernière séance, celle du 31 octobre, était consacrée à deux films inédits le long métrage Tempestad, de Tatiana Huezo (Mexique) précédé par le court métrage Fathy doesn't live here anymore, de l'Egyptien Maged Nader. Deux bijoux qui se démarquent par une approche cinématographique exceptionnelle et une esthétique singulière, le genre de films qui valent, sans conteste, le détour. Une programmation en partenariat avec le réseau des écrans arabes alternatifs «Network of arab alternative screens» (Naas) qui, dans le cadre du Think film program, propose des films minutieusement choisis parmi la sélection officielle Forum du festival de Berlin. Créé en 2009 à Beyrouth, Naas est une ONG présente dans huit pays arabes et rassemblant à ce jour 12 salles de cinéma, ciné-clubs et centres culturels pluridisciplinaires. Le réseau œuvre pour la programmation, la diffusion et le développement du cinéma alternatif dans le monde arabe. Choisi en Egypte comme meilleur court métrage de la saison 2016-2017, le film Fathy doesn't leave here anymore, de Maged Nader, représente à merveille le nouveau cinéma égyptien. Avec une écriture singulière, plutôt figuratif que narratif, ce petit bijou fait dans le cinéma expérimental et nous saisit par l'enchaînement en cut de photographies, sorte d'arrêts sur images. Le quotidien d'un jeune homme du Caire moderne qui tombe sur la photo emblématique de Bibi Andersson et Liv Ullmann du film Persona, de Ingmar Bergman de 1966 collée à une bouteille de shampoing. Cela finit par déclencher une histoire de rêves brisés et non dévoilés sur une femme et une aventure de recherche de réponses. Réalisé en 2016, Tempested dépeint la situation actuelle au Mexique, une situation chaotique faite de crimes organisés, de corruption et une population abusée et prise au piège. A la force du propos s'ajoute celle du traitement et de la forme avec un parti pris narratif et un choix esthétique qui dénotent du grand talent de sa réalisatrice Tatiana Huezo. Cette dernière se joue, avec brio, des codes du genre documentaire confrontant figuration et narration. Le film nous parle de deux femmes mexicaines, l'une retenue prisonnière dans une prison contrôlée par le crime organisé et qui a fini par s'en libérer et l'autre qui recherche sa fille disparue. Leurs deux témoignages s'entrelacent et nous emmènent, à travers des images qui nous entraînent dans un voyage du nord au sud du Mexique, au cœur d'une tempête: un pays où la violence a pris le contrôle des vies, des désirs et des rêves de ses citoyens. Le premier récit est celui d'une jeune femme qui, soupçonnée de participer à un trafic humain, est arrêtée, avec ses collègues, par la police. Aucune preuve ne l'inculpe réellement, elle est, quand même, incarcérée dans une prison autogérée par un cartel. Pour qu'elle ait la vie sauve semaine après semaine, sa famille devra payer pendant des mois une rançon. Une voix off nous raconte ses infortunes, son quotidien fait d'angoisses, de terreur mais aussi de résignation et de moments de partage avec les autres prisonnières. L'autre récit est raconté par une femme qui travaille comme clown dans un cirque, sa fille a été enlevée sans laisser de trace. Un crime non élucidé et une mère contrainte de faire le deuil de sa fille. Deux sorts sinistres comme tant d'autres au Mexique que la réalisatrice a choisi de dénoncer. D'emblée l'on comprend que l'on est face à une esthétique particulière. La réalisatrice ne fait pas dans la synchronisation entre images et son sauf pour une seule séquence, celle d'un moment d'émotion entre rires et pleurs que la mère partage avec ses nièces qui travaillent avec elle au cirque. Les voix-off de la rescapée qui raconte son périple et de la mère qui commence par raconter sa vie dans le cirque, son amour pour ses enfants avant de parler du tragique sort de sa fille, sont accompagnées par des images d'une grande éloquence qui illustrent leurs propos sans pour autant les représenter directement. Des bâtiments abandonnés, des murs en lambeaux, des ouvrières au travail dans des décors nauséabonds, des visages d'hommes et de femmes (surtout) filmés dans des bus, des regards vides et des traits creusés font échos aux récits des deux femmes, de leurs nuits d'angoisse, de terreur mais aussi de leur courage face à tout cela. La réalisatrice filme la part sombre du Mexique avec des fragments d'images prises ici et là dans un quotidien de plus en plus morose. Un traitement abstrait dont il en ressort des images-poèmes qui ne nous fait aucunement décrocher du fil narratif bien au contraire lui donnant tout son sens, plus de sens... Un voyage pictural qui raconte les maux du Mexique qui nous mène vers l'allégorie de la tempête figurée en images vers la fin du film... A voir absolument !