Des études internationales portant sur le rééquilibrage genre ont démontré qu'il est possible de gagner jusqu'à 1,5% du PIB grâce à une politique publique, fondée sur l'approche genre. L'intégration de la notion de genre dans la politique nationale et publique par l'institutionnalisation de ce principe fondé sur l'égalité entre les sexes continue à intriguer les conservateurs, voire les antiféministes. Certains vont même jusqu'à mobiliser des prêcheurs pour user d'un discours trompeur et induire les Tunisiens en erreur en leur chuchotant à l'oreille qu'il s'agit d'une intention sournoise et malsaine bannissant la distinction naturelle homme/femme pour servir les intérêts des minorités dont l'identité sexuelle contrecarre les principes religieux. Pourtant, l'objectif requis via l'intégration et l'institutionnalisation du principe de genre consiste à rétablir l'équilibre équitable et égalitaire entre les deux sexes en agissant dans toutes les composantes de la vie moderne, notamment dans la société, dans le milieu professionnel et dans les postes de décision et ce, en ne se soumettant qu'à un critère indiscutable qui est le mérite. De ce fait, le ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance avait signé, en avril 2015, une convention de partenariat avec l'Union européenne pour asseoir les jalons d'un programme de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, lequel programme fut baptisé «Moussawat». Il tend à reprendre l'évaluation de la répartition des rôles des femmes et des hommes selon le principe de l'égalité de genre. «Le rapport entre les femmes et les hommes est conçu selon une logique purement sociale. L'approche genre, quant à elle, vise la réorganisation des rôles de la femme et ceux de l'homme sur une base relationnelle hétérosexuelle, favorable à l'échange voire à la répartition desdits rôles afin d'atteindre la parité ou l'égalité de genre», explique M. Fayçal Sahraoui, responsable du programme «Moussawat». Une question de principe Et de préciser que l'approche genre qui est réfutée par les conservateurs car considérée comme étant strictement pro-féministe, représente, bien au contraire, une vision pour l'égalité entre les sexes. «Institutionnaliser l'approche genre a pour finalité de rétablir l'équilibre genre dans les institutions multisectorielles. Si le secteur de l'enseignement, à titre indicatif, a tendance à se féminiser, cela nous incite à nous interroger sur les causes de ce déséquilibre en vue de rééquilibrer la balance conformément au principe de l'égalité de genre. Du coup, la question de genre, dans ce cas, serait au service de la gent masculine», souligne-t-il. Pour intégrer la question de genre dans les politiques nationales, il faudrait accomplir trois missions complémentaires, qui représentent les axes fondamentaux autour desquels s'articule ledit programme. Institutionnalisation et budgétisation de l'approche genre L'institutionnalisation de l'approche genre consiste en l'adoption de cette logique par les institutions de l'Etat aussi bien en matière de planification des programmes, des projets, en matière de gestion des ressources humaines qu'en matière de budgétisation. Ce défi est d'ailleurs lancé à l'échelle nationale et régionale conformément au principe de décentralisation. «Pour relever ce défi, nous nous engageons pour le renforcement des compétences des ressources humaines du ministère de tutelle, mais aussi de celles de nos partenaires, à savoir les autres ministères. Il est indubitable que l'approche genre se répercute positivement sur les politiques nationales. Des études internationales portant sur le rééquilibrage genre ont démontré, poursuit-il, qu'il est possible de gagner jusqu'à 1,5% du PIB grâce à une politique publique fondée sur l'approche genre». Ce travail de fond et de longue haleine ne peut être accompli sans l'implication multisectorielle et multi-institutionnelle de toutes les composantes de la politique publique. «Certes, nous œuvrons en étroite collaboration avec la direction générale de la femme, relevant du ministère. Cela dit, nous allons établir des partenariats avec la direction générale de l'enfance, les ministères de la Jeunesse et du Sport, le ministère de l'Education ainsi que la société civile. La diffusion et l'ancrage de la culture genre devraient être menés dès la prime enfance», renchérit M. Sahraoui. Encore faut-il rappeler que l'intégration de l'approche genre dans les politiques nationales et publiques bénéficie d'une budgétisation exigée dans l'article 17 du projet de Loi de finances ce qui est un saut législatif. Le programme «Moussawat» s'appuie, en deuxième lieu, sur le principe de l'autonomisation économique et publique des femmes. Ce principe est considéré comme étant la solution la mieux indiquée pour réduire sensiblement la vulnérabilité, voire l'assujettissement de la femme face à son alter ego, l'homme. Qu'elle soit instruite ou non, une femme doit impérativement gagner en autonomie économique afin d'échapper à la dépendance économique machiste. Et ce n'est qu'en étant indépendante qu'elle parviendrait à être active et à s'affirmer dans sa communauté. Aussi, le programme « Moussawat » vise-t-il la promotion de la création, par les femmes, de petites et moyennes entreprises ( PME ) et de très petites entreprises ( TPE ). Selon le responsable, le programme compte beaucoup sur l'apport de la société civile pour réaliser ce but. Grâce à un coaching et un accompagnement appropriés, qui s'étalent sur deux ans, le temps que le projet atteigne sa phase de maturité, ledit programme déleste ainsi les femmes futures entrepreneuses des chaînes matérielles qui les accablaient. «L'objectif étant d'intervenir dans neuf régions, à savoir le Grand-Tunis (Tunis, Ben Arous, Ariana et La Manouba), Jendouba, Gafsa, Mahdia, Kairouan et Kébili. Le ministère a mis en place, en outre, un autre outil d'autonomisation des femmes, à savoir l'outil Raïda, qui a permis d'accompagner des femmes futures entrepreneuses issues de toutes les régions. Nous avons, d'ailleurs, pu financer, grâce à l'UE, quelque deux mille projets», indique M. Sahraoui. Active, autonome et imposante Par ailleurs, et grâce au partenariat avec l'association « Alda » de Strasbourg, un autre outil vient d'être lancé. Il consiste en le renforcement des compétences des futures électrices et candidates au scrutin municipal, et ce, dans le respect total du principe de la parité tant horizontale que verticale. Cet outil facilitera l'accès des femmes aux postes de décision et boostera leur participation à la vie collective et politique, et ce, sur un pied d'égalité avec l'homme. «70% des diplômés de l'enseignement supérieur sont des femmes. Or, et contre toute logique, le taux de chômage chez les femmes s'avère être le double de celui de la gent masculine. Et pour preuve : le taux d'activité des femmes se limite à 28,5%. Certes, l'on ambitionne dans le cadre du plan de développement quinquennal de hisser ce taux à 35%. Il faudrait, en revanche, conjuguer davantage les efforts pour relever ce défi qui demeure, pour ainsi dire, bien en deçà du principe de parité et d'égalité genre», ajoute le responsable du programme. Il appelle, d'ailleurs, à la promotion de l'entrepreneuriat féminin et à la mise en place de plusieurs outils de discrimination positive en faveur des femmes. Lutte sans merci contre la violence à l'égard des femmes Le troisième axe du programme «Moussawat» porte sur la lutte contre toute forme de violence à l'égard des femmes et des jeunes filles. Ce volet est mené en collaboration avec l'Union nationale de la femme tunisienne (Unft). Pour sensibiliser et informer le public sur les quatre «P» de la loi organique sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles, à savoir la prévention, la protection, la punition et la prise en charge, le ministère vient de consacrer seize jours d'activisme contre la violence faite aux femmes. Une campagne d'information, de sensibilisation et de réflexion a été lancée le 25 novembre dernier et se poursuit jusqu'au 10 décembre à cet effet. Rappelons qu'il a été procédé, récemment, à l'inauguration de quatre nouveaux centres d'hébergement des femmes victimes de violence, à Kairouan, Jendouba, Tunis et Gafsa. D'un autre côté, trois centres d'écoute et d'orientation des femmes victimes de violence ont été inaugurés à Tunis, Zarzis et Sfax. «Nous allons, d'ici février 2018, préparer le terrain à l'entrée en vigueur de la loi organique sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles», indique encore le responsable.