La nécessaire action sur les mentalités De par sa force de propagation, le discours médiatique peut déconstruire les images stéréotypées qui affectent quotidiennement la vie de millions de femmes et de jeunes filles et construire des images objectives et nullement « maquillées », en transmettant des messages explicites et implicites sur l'apport concret des femmes à tous les aspects de la vie quotidienne, des messages qui rendent compte des avancées de la femme sur la voie de l'égalité. Dans ce cadre, l'Institut international de recherche et de formation des Nations unies pour la promotion de la femme (Un-Instraw) et le Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche (Cawtar) ont récemment organisé en collaboration avec le Centre d'information des Nations unies à Tunis (Unic), le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) et le Fonds de développement des Nations unies pour la femme (Unifem), une session de sensibilisation qui vise, notamment, l'insertion de l'approche du genre social dans les organes d'information. Une culture égalitaire Les recherches effectuées en la matière ont mis en évidence que les discriminations fondées sur le genre sont des freins réels aux processus de développement socio-économique et, qu'en dépit des grands efforts investis, aucun programme de développement ne peut être durable si la question de l'égalité n'est pas traitée en priorité, a indiqué M. Mohammed Belhoucine, coordonnateur résident du SNU à Tunis. Pour la Tunisie qui est pionnière dans la région arabe pour la promotion des droits des femmes et le renforcement de leur participation à la vie publique, l'introduction de l'approche du genre social, dans les différentes politiques et programmes sociaux, constitue l'un des défis sur lesquels elle parie. Il faut, cependant, dire que la participation des femmes, qui ne cesse de s'accroitre au fil des années à la faveur d'une politique étatique volontariste d'émancipation, rencontre des limites qui consistent essentiellement en la persistance du poids du foyer et de la famille, de la culture patriarcale et des stéréotypes véhiculés à l'encontre des femmes, sans oublier les résistances des femmes elles-mêmes imprégnées du poids de la tradition et de la domination masculine. C'est pour l'ensemble de ces raisons qu'une stratégie d'action en vue d'une meilleure participation des femmes à la vie politique exige, à la base, la diffusion par l'école, la famille et les médias d'une culture égalitaire et non discriminatoire envers les femmes ainsi que l'ouverture du champ médiatique, avec l'instauration d'un débat pluraliste où ces dernières participent activement et sur un pied d'égalité avec leurs partenaires hommes. Une telle stratégie vise également le renforcement des capacités des femmes en matière de démocratie participative à l'échelle locale et nationale, au niveau des associations et des partis politiques, tout en accordant un intérêt particulier aux structures représentatives, en particulier les conseils municipaux, lieu d'exercice immédiat de la citoyenneté. Cibler la famille Selon l'une des études menées par le projet UN-Instraw-Cawtar , la socialisation primaire assurée essentiellement par la famille, l'école et le groupe des pairs inculque à l'individu des stéréotypes, des représentations et des valeurs liés à la féminité et à la masculinité qui règlent les rapports sociaux entre les sexes et le mode de fonctionnement des institutions sociales à l'instar de l'espace privé, le milieu professionnel, les structures politiques ou encore le milieu associatif. Ce processus de socialisation primaire confine les hommes et les femmes dans des corsets culturels. C'est au sein de la famille que s'effectue la socialisation primaire et que se forgent les rapports entre hommes et femmes avec ce que cela implique comme distribution inégalitaire des rôles. La séparation entre une sphère familiale privée et réservée aux femmes, d'un côté, une sphère publique et politique dominée par les hommes, de l'autre, est le fondement de cette distribution inégalitaire. La politique « genre » ou à dominante masculine commence donc au sein de la famille. C'est pour cette raison qu'une véritable stratégie d'action devrait, selon cette étude, cibler d'abord et avant tout la cellule familiale. Un travail de conscientisation, assuré par les médias et les associations, est absolument nécessaire pour cela. La diffusion par l'école Dans le même sillage, l'école, qui participe à la socialisation primaire et qui forme les hommes et les femmes de demain, est appelée à revoir davantage les programmes et surtout veiller à ce que les inégalités hommes-femmes ne s'enracinent pas dans les pratiques scolaires et sociales. Dans les cours dispensés et les séances sportives, les enseignants ont un grand rôle à jouer en vue de ne pas reproduire la séparation entre les sexes. La mixité se construit donc très tôt, avec les enfants, lors des premières années de la scolarité. En outre, la révision des manuels scolaires et l'organisation au sein des clubs scolaires et universitaires de débats relatifs aux rapports entre les sexes, la participation mixte aux groupes de travail, ainsi qu'aux activités de loisirs sont à renforcer dans le cadre d'une stratégie ciblant la famille et l'école, en tant qu'institutions primaires de socialisation, appelées à jouer un rôle fondamental dans la restructuration des rapports hommes/femmes. Les comités des parents d'élèves sont, de même, appelés à exercer un rôle en luttant contre les discours et les pratiques discriminatoires à l'égard des élèves de sexe féminin. Une action de sensibilisation visant ces comités, de la part des associations féminines et des ministères concernés, est, selon cette étude, nécessaire pour atteindre un tel objectif. Il est important, dans ce sens, d'en finir avec l'idée de séparation entre l'école et la famille sur la base d'une conception dualiste entraînant un désengagement institutionnel par lequel l'école accuserait la famille de défaillance au niveau de l'éducation et inversement. Le système d'information doit aussi intervenir de sorte à assurer une visibilité publique aux femmes pour qu'elles puissent s'exprimer autant que les hommes et diffuser une image active en rupture avec les stéréotypes véhiculés par la publicité et les feuilletons télévisés. De même, il importe de favoriser le débat à propos de toutes les questions touchant à l'émancipation de la femme de nos jours, remise en cause par les discours intégristes diffusés par les télévisions satellitaires. Changement des mentalités M. Belhoucine a relevé que des actions intersectorielles sont nécessaires, car l'égalité du genre ne peut se concrétiser si elle reste confinée à un secteur spécifique. La participation publique des femmes est un premier jalon pour l'intégration du genre dans les plans et budgets sectoriels , et ce, à travers différentes approches dont il a cité la budgétisation sensible au genre, la lutte contre la violence à l'égard de femmes, l'amélioration des services de santé de la reproduction et la non-discrimination à l'égard de la petite fille. Pour la Tunisie qui occupe la première place au niveau mondial en ce qui concerne le taux de femmes inscrites en enseignement primaire, secondaire et supérieur, les limites qui entravent une participation politique plus importante de la femme sont diverses mais ne sont certainement pas d'ordre législatif. L'égalité entre hommes et femmes est, en effet, consacrée par les lois. Les entraves existantes sont plutôt d'ordre social et psychologique. Et un changement des mentalités s'impose, pour que la volonté politique exprimée, avec force, en ce sens, soit traduite concrètement dans la dynamique sociale, en des avancées quantifiables sur la voie de la parité.