«Le théâtre doit renouer avec son essence d'agora et de moment de rencontre directe et interactive entre le citoyen et le comédien qui, finalement, n'est autre que son image sur scène». Hanane Hajj Ali n'en est pas à sa première visite en Tunisie et aux Journées théâtrales de Carthage, mais c'est la première fois qu'elle vient pour avoir la scène à elle toute seule. Son one woman show «Jogging» a été présenté en section parallèle et ce fut l'occasion de (re)découvrir cette dame et d'écouter ce qu'elle a à nous dire sur le théâtre, la vie, sur elle et sur nous. «L'œuvre de maturité» Cofondatrice du Théâtre Al Hakawati avec son compagnon de route et de vie le metteur en scène libanais Roger Assaf, ils étaient présents à la première édition des JTC en 1983 où ils avaient remporté le prix de la meilleure œuvre. Pour Hanane Hajj Ali, il y a eu des retours depuis, pour le théâtre comme pour son savoir-faire en matière de management et de politiques culturelles, étant également cofondatrice et membre du conseil d'Al Mawred Al Thaqafy (projet Tounes balad el fan avec le ministère de la Culture). De toutes ces facettes de sa carrière professionnelle et de sa vie publique et privée, de femme tout court et de femme de théâtre, d'épouse et de mère, d'écrivaine et de chercheuse, d' «artiviste» comme elle se qualifie, est née «Jogging» qu'elle considère comme «l'œuvre de maturité». «C'est, pour moi, le commencement d'une nouvelle étape», affirme-t-elle. Une pièce d'une heure vingt où elle incarne «Hanane, actrice et citoyenne libanaise cinquantenaire, qui fait quotidiennement de l'exercice pour prévenir l'ostéoporose, l'obésité et la dépression. Elle se promène dans son espace personnel, intime, autant que dans les espaces ouverts de Beyrouth. En chemin, elle revisite ses rêves, ses désirs, ses espoirs, ses désillusions, ses personnages, et ses rôles – principalement des Médées avec lesquelles elle partage une part de son être». En tournée internationale, «Jogging» est acclamée et a valut à son auteure-interprète le prix de la meilleure comédienne au festival Fringe à Edimbourg (4-27 août 2017). «A ma grande surprise, la pièce a séduit autant le grand public que les intellectuels et les critiques, dans le monde arabe et à l'international», décrit Hanane Hajj Ali. Mais encore, son thème a percuté les consciences parce qu'il est, selon elle, personnel, seulement en apparence. «C'est une œuvre aux propos universels qui touche l'humain où qu'il soit», ajoute-t-elle. Dans «Jogging» se chevauchent, en effet, les mythes du passé aux histoires vraies du présent, les contradictions que le singulier partage avec le pluriel, et les grands tabous de la société exposés à travers le prisme de vie de l'actrice et citoyenne Hanane. Celle-ci a fait de son œuvre un manifeste contre ses propres démons et ceux de la société, et qui s'étend à tout le processus de création théâtrale. Renouer avec l'agora «Le théâtre doit renouer avec son essence d'agora et de moment de rencontre directe et interactive entre le citoyen et le comédien qui, finalement, n'est autre que son image sur scène», clame Hanane Hajj Ali. «Jogging» n'a pas manqué d'être un tel moment, sur plusieurs niveaux. Elle a d'abord sollicité le public d'une manière directe en s'adressant à lui avec son propre personnage et en invitant des spectateurs au hasard à prendre part à son œuvre en lisant par exemple une lettre qui fait partie du texte. Elle l'a ensuite fait de manière indirecte et tout au long de la pièce, puisque la narration n'est à aucun moment dissociée de l'incitation à la réflexion et à la remise en question. Comme ce moment où la comédienne et metteure en scène, voilée dans la vraie vie, titille le public en lui faisant croire qu'elle se dévoile, avant d'ôter une perruque qui se faisait passer pour ses vrais cheveux. Elle fait ainsi référence au moment de sa vie où elle a décidé de se voiler, rajoutant une «contradiction» de plus à son personnage de chiite mariée à un maronite et attisant stupeur et même indignation autour d'elle, dans un milieu supposé fervent défenseur de la liberté. Des contradictions qu'elle expose dans la pièce et va au-delà pour faire de celle-ci un acte contre la censure. «Artivisme» Afin de dénoncer la loi obsolète qui exige des artistes d'obtenir un visa des autorités pour montrer leurs œuvres, Hanane Hajj Ali a décidé d'agir. «J'ai décidé de faire en sorte de représenter sans visa et j'ai réussi jusque-là», assure-t-elle. Voilà comment : «J'ai varié les espaces de représentation, j'ai ajouté «théâtre en chantier» au nom de ma pièce, et je n'ai pas fait de billetterie. Au lieu d'acheter un billet, le public achète une copie du texte de la pièce», décrit-elle. Une manœuvre qui lui a permis de faire une soixantaine de représentation au Liban, du centre jusqu'aux camps de réfugiés et aux endroits les plus reculés. Une démarche dans la continuité de son autre combat, celui d'instaurer de nouvelles visions de management et de politiques culturelles dans le monde arabe. «De par ma conviction du rôle social et activiste du théâtre et de l'art, j'ai milité en temps de guerre comme en temps de paix sur deux principaux volets, à savoir le management culturel et les études autour des politiques culturelles, au sein de trois institutions : Al Mawred Al Thaqafy pour le soutien de la création artistique arabe, Ettijahat pour une culture indépendante, et Action for hope, caravanes humanitaires et artistiques pour les camps de réfugiés», explique Hanane Hajj Ali. Des batailles qu'il n'est pas facile de mener mais qui donnent selon elle leurs fruits. «Le travail sur les politiques culturelles demande patience, conscience des enjeux et persévérance car il implique plusieurs opérateurs culturels, le secteur public comme le privé. Dans le volet management culturel, nous avons formé plus de 250 jeunes du monde arabe dont une cinquantaine au moins a crée ou travaille dans des projets culturels. Nous continuerons d'œuvrer pour un tel impact», affirme Hanane Hajj Ali, qui poursuit après les JTC la représentation de «Jogging» sur d'autres planches arabes et internationales.