L'entrepreneuriat féminin en milieu rural est entravé par le manque d'encadrement et de ressources financières Que d'obstacles qui s'érigent comme une fatalité devant la femme rurale et font qu'elle soit, jusqu'à ce jour, spoliée de ses droits et marginalisée dans la société. Intelligente, altruiste et bosseuse, elle travaille plus que l'homme mais elle est beaucoup moins rémunérée. Le paroxysme du paradoxe est quand le propriétaire d'une voiture de luxe s'arrête devant le foyer de cette femme pour acheter un margoum à 70 dinars et le revend dans les quartiers huppés à plus de mille dinars. La femme rurale représente 32% de l'ensemble des femmes en Tunisie. 85% n'ont pas eu leur bac. Souvent esseulée, elle continue pourtant à lutter, à produire et à espérer un lendemain meilleur avec le soutien de la société civile qui pousse à l'adoption d'un texte de loi relatif à l'organisation de l'économie sociale solidaire pour booster l'entrepreneuriat en milieu rural. Problématique du transport en milieu rural Dans une société où la communication, l'accompagnement et l'encadrement font défaut, la femme rurale ne peut vivre décemment. Depuis son bas âge, elle est le plus souvent poussée à l'abandon des études par son père qui préfère lui assurer une carrière de domestique et encaisser tout l'argent qu'elle économisera dans la douleur. D'autres échappent miraculeusement à ce sort et trouvent généralement refuge dans le travail agricole, la confection, la pâtisserie, mais elles sont le plus souvent privées de formation ou de financement en raison d'un manque flagrant de communication. On tarde encore à prendre conscience de l'apport socioéconomique de ces femmes et leur potentiel au niveau de la création de micro-entreprises. En dépit de ces entraves, des success-stories sont enregistrées dénotant une volonté inébranlable chez la femme rurale, comme c'est le cas à Jendouba qui vient en tête des gouvernorats au niveau du taux des femmes rurales avec 72%. Et c'est justement dans ce gouvernorat, à Tabarka plus précisément, que le Forum de l'Académie politique a tenu à organiser, samedi dernier, avec le concours de la Konrad Adenauer Stiftung (KAS), son colloque autour du thème : «Femmes et entrepreneuriat en milieu rural en Tunisie» en présence de plusieurs femmes rurales. Bien d'autres n'ont pas pu assister à ce colloque en raison de la difficulté de joindre le lieu de la rencontre, ce qui pose la problématique du transport de personnes en milieu rural. Multiplier les opportunités de formation Le manque de confiance en soi, le refus du père de laisser sa fille (ou sa femme) poursuivre des cours de formation, la faiblesse des taux de propriété foncière chez la femme rurale, le manque de communication avec la société civile et avec les structures de financement se placent parmi les facteurs qui entravent la création de micro-projets en milieu rural, ont relevé les intervenants. Mais ceci n'a pas empêché certaines représentantes de la société civile d'aller à la rencontre de ces femmes en vue de les sensibiliser, les assister et les orienter pour monter des micro-projets. La formation dans ce cadre s'avère très cruciale pour la femme rurale puisqu'elle est couronnée par l'obtention d'un diplôme et donne droit au financement. Mais généralement la femme rurale se contente du financement et refuse la formation pour les raisons citées, a tenu à souligner Fadhila Snoussi, présidente de l'Académie internationale de futurs leaderships (Aifl). Le père de la fille ou le mari de la femme se dressent comme un rempart contre les opportunités de formation. Des success-stories malgré tout Il faut améliorer l'accès au financement, à la formation et à la commercialisation pour renforcer l'autonomisation de la femme rurale. Il est aussi impératif de lui faciliter l'accès au marché local, la participation aux expositions à l'échelle nationale et internationale, mais il faut reconnaître que la difficulté réside au niveau de l'absence de l'information sur le plan des opportunités de formation, de financement, d'accompagnement et de suivi. Un défi majeur certes, mais qui a été relevé par d'autres femmes rurales comme Mabrouka Athimi qui a reconnu qu'elle a abandonné très tôt les bancs de l'école mais a pu surmonter ce handicap. Elle a réussi à monter son propre projet et s'est spécialisée dans la production des huiles essentielles grâce à sa persévérance. Pour réussir, il faut surtout éviter l'attentisme, préconise-t-elle. La très jeune Ibtissem Nachi, avec un diplôme en agronomie et 6 ans d'études supérieures, a travaillé comme vendeuse pendant six mois et n'a pas eu à rougir de cette expérience très riche dans sa vie. Elle n'a jamais abdiqué et a lancé sa start-up. Il faut insister et ne pas baisser les bras. Les opportunités existent, il faut les saisir. Eliminer les stéréotypes sexistes Le plan national de l'entrepreneuriat féminin 2016-2020 (programme Raida), soutenu par le ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, vise à contribuer à améliorer l'autonomisation de la femme rurale, garantir un développement régional équitable et réduire les écarts entre la femme et l'homme en milieu rural, a souligné de son côté Rabi Ayadi, représentant dudit ministère. Ce dernier a tenu à rappeler que 22 femmes habitant à Aïn Soltane (Jendouba) ont pu bénéficier d'un programme de formation et de financement dans le domaine de l'apiculture. 40 autres familles vont bénéficier d'un programme de soutien au début de l'année prochaine. Il va sans dire que ces mesures ne sont pas de nature à apporter une solution pérenne à même de booster l'entrepreneuriat en milieu rural. La solution est peut-être dans l'adoption au plus vite du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire selon les experts. La femme rurale ne peut appréhender le monde de l'entrepreneuriat qu'avec l'aide de tous les acteurs de la vie politique, économique et sociale. Mais faut-il aussi penser à changer l'homme rural avant tout en vue d'éliminer les stéréotypes sexistes qui ne font que renforcer les inégalités entre l'homme et la femme en milieu rural.