«Les temps ont drôlement changé. Qui pouvait croire qu'un jour viendrait où le public commandera une association, ou qu'un dirigeant deviendra l'otage du joueur ? Résultat: on ne se bouscule plus au portillon pour tenir les postes de responsabilité. Regardez ce qui se passe dans mon club d'origine, l'Olympique de Béja. Un juge respecté par tous, enfant du club et dont le père était secrétaire général, poussé à la porte de sortie à coups de «Dégage !». Je veux parler de Mohamed Ibrahimi, accusé de tous les maux alors que le bonhomme s'est démené comme un beau diable pour tenir la barque du club à flot. Notre génération éprouvait de la peur simplement à la vue du président ou d'un important responsable. La présence de Hassène Belkhodja ou Naceur Knani, nos présidents, nous donnait une énergie supplémentaire. Nous jouions pour le plaisir, rien que pour le plaisir. Au quartier, il nous arrivait de livrer trois matches par jour. Arrivés dans la catégorie seniors, les footballeurs étaient toujours habités par la notion de plaisir qu'ils avaient développée tout jeunes dans ces interminables parties de quartier. Ils se donnaient à fond pour arracher une place parmi la constellation de joueurs de qualité: Temime, Tarek, Jelassi, El Fahem à l'EST, Agrebi, Akid, Sassi, Graja, Dhouib... au CSS, Hbacha, Adhouma, Karoui, Malki... à l'ESS. Le CA, n'en parlons pas. C'était presque une sélection à part. Il n'était pas évident du tout de pouvoir s'imposer parmi tant de monstres sacrés.Un Hergal, un Tarek ou un «Djo» Limam, ça ne court plus les rues. A Béja, nous prenions pour tout repas un casse-croûte dans le bus en partant jouer nos matches à Tunis ou Sousse. A présent, l'équipe descend dans un palace 5 étoiles. On est aux petits soins avec eux, tels des enfants gâtés. Les joueurs sont désormais dopés par des chèques mirobolants. C'est là leur seul intérêt. Nonchalants, s'ils viennent à manquer pour une raison ou une autre à leur équipe, cela ne change rien à l'affaire. Cette absence passe inaperçue car ils n'ont aucune influence sur le jeu. Avec ou sans eux, c'est du pareil au même». «Des supporters d'un même club se déchirent» «Le foot a changé dans les tribunes aussi. Il y a de moins en moins de spectateurs. Si vous emmenez votre enfant au stade, vous risquez aussitôt de le regretter. Les injures, les mots grossiers, voire les coups pleuvent. A défaut de spectacle, le public se livre à une violence inqualifiable. On avance le triste argument de l'obligation de résultat. La belle affaire ! Violence «dernier cri»: des groupes de supporters d'un même club se chamaillent entre eux. Les clubs n'ont plus le souci de la formation. Ils n'ont plus le goût du travail de longue haleine, de la patience pour attendre l'éclosion du jeune footballeur qu'ils forment, tel un artisan, avec amour. A présent, que ce soit à Béja ou à l'Espérance, les deux clubs dont j'ai fièrement porté les couleurs, on ne sait plus qu'acheter des joueurs. Qui finissent un jour ou l'autre par porter plainte contre leur club pour recevoir leurs émoluments jusqu'au dernier millime, parfois même alors qu'ils ne maîtrisent pas un simple contrôle. Il est ainsi arrivé le pire à l'OB, pénalisé de six points en moins en tout début de saison pour une histoire de joueurs impayés. Les parents ont mordu à l'hameçon. Beaucoup d'entre eux voient dans leur progéniture un projet de grand joueur rapportant de l'argent à flots. Et ils font tout pour en faire de futurs footballeurs. Alors, au diable les études !».