Sociologue à l'université de Bir Zeit et chercheur associé dans plusieurs centres de recherche, le Pr Abaher El-Sakka concentre ses recherches actuelles sur la sociologie et l'historiographie des sciences sociales. A l'occasion de la rencontre «Les rendez-vous de l'Histoire de Carthage», il a été invité à Tunis pour présenter une conférence sur le thème «Conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe ?». Il nous accorde une interview qui apporte un éclairage édifiant et actualisé sur la situation en Palestine. Quel est l'intérêt que vous portez à votre participation aujourd'hui au colloque ? D'abord voir d'autres collègues, croiser des regards mais aussi essayer d'apporter un éclairage sur la situation en Palestine. En particulier aujourd'hui avec les conséquences de la déclaration de «Jérusalem comme capitale d'Israël ». Mais aussi la décision du parti israélien de droite, le Likoud, d'imposer la souveraineté israélienne aux colonies établies sur les territoires de la Cisjordanie, dont certaines zones de Jérusalem. Ce qui veut dire dans les faits, la fin du projet de deux Etats. C'est mort et c'est officiel. Le thème de votre intervention est le «conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe ?», voulez-vous nous en présenter les grandes lignes ? D'abord, je m'interroge sur la nature du conflit, ensuite, j'essaye de présenter les arguments des défenseurs de chacune des parties ; s'agit-il d'un conflit israélo-palestinien ou d'un conflit israélo-arabe ? Puis, j'essayerai d'apporter mon regard personnel. Moi je défends la thèse selon laquelle il s'agit d'un conflit israélo-arabe ; parce qu'Israël a bombardé la plupart des capitales arabes, parce que les Arabes sont engagés dans la lutte contre Israël intellectuellement et politiquement depuis toujours. Les intellectuels et les artistes ont toujours défendu la Palestine dans leurs créations. La Palestine est au cœur de la conscience arabe. Il y a une véritable identification. Au regard de l'avenir, maintenant, Israël devrait rester un Etat colonial et non pas être intégré dans la région. Pour toutes ces raisons, le conflit ne devra pas être banalisé ni être limité aux Palestiniens uniquement. Mais c'est un conflit qui doit concerner la nation arabe ainsi que tous les peuples arabes. Quel est le sentiment actuel des Palestiniens après la déclaration de Trump et la décision du parti de droite le Likoud, pensent-ils que le processus de paix est définitivement rompu ? Personnellement et je ne suis pas le seul, je pense que le processus de paix est mort depuis très longtemps. La paix existe seulement dans l'imaginaire de l'autorité palestinienne. Donc, le seul avantage de la déclaration de Trump, c'est qu'elle a poussé les rues arabes à réagir de nouveau. Les rues européennes et celles de l'Amérique du Sud ont manifesté également. Les gens réclament que la Palestine revient au cœur des préoccupations. Ils réclament surtout que Jérusalem est et doit rester arabe. Toutes ces manifestations et cette solidarité exprimées à travers le monde donnent de la force aux Palestiniens. Par le fait d'être soutenus par des milliers de personnes qui descendent dans la rue, en Tunisie, au Maroc et ailleurs, les Palestiniens ne se sentent pas seuls et ne doivent pas rester seuls. Vous êtes professeur d'université, exercez-vous votre travail normalement ? Je suis originaire de Gaza et j'enseigne à Ramallah, à la grande université palestinienne de Bir Zeït. Il faut dire que nous rencontrons des difficultés liées au fait que les Israéliens interdisent les professeurs du monde entier de venir, idem pour les professeurs palestiniens de la diaspora. Les mouvements des étudiants sont interdits également. Les étudiants de la bande de Gaza n'ont pas le droit d'étudier en Cisjordanie. L'armée coloniale pénètre dans le campus, tue des étudiants, des professeurs et des fonctionnaires. Cette année, nous avons perdu deux étudiants. D'autres étudiants croupissent par centaines dans les prisons israéliennes et y sont torturés. Je dois dire que c'est difficile au quotidien.