On nie tout et on blanchit tout le monde. C'est l'impression qui se dégage du témoignage du sécuritaire Hichem Meddeb hier devant la commission parlementaire. Avant lui, l'autre sécuritaire Issam Dardouri a révélé d'autres faits et affirmé détenir des documents et des preuves témoignant le contraire. Des élus étaient hier dépités mais n'ont pas cru à la version de Meddeb. La commission parlementaire a du pain sur la planche Entendu hier à la commission d'investigation concernant les réseaux impliqués dans l'envoi des jeunes Tunisiens vers les zones de combat, le cadre au sein du ministère de l'Intérieur Hichem Meddeb, a déclaré que sa «conviction personnelle» dans cette affaire, était qu'il «n'existait pas une entité particulière ou parti en particulier qui soit entièrement responsable de l'envoi des jeunes». Selon lui, il n'existerait pas d'ordres hiérarchiques directs provenant de partis politiques ou d'associations, pour demander aux jeunes de partir combattre en Syrie. «Certaines déclarations accusant telle ou telle partie menace la paix sociale», a-t-il déclaré, tout en ajoutant que le danger est d'autant plus menaçant que 60% des armes circulant de manière illégale n'ont pas été saisies par la police. Sans rien apporter de plus que des impressions sans beaucoup de preuves, Meddeb a affirmé que des forces occultes qu'il nomme «mondialisation» sont derrière cette vague de mobilisation de combattants en Syrie. «Grâce à des algorithmes compliqués, les réseaux sociaux ont constitué le principal mode de recrutement de jeunes», a-t-il expliqué, sans parvenir à convaincre une grande partie des élus. Interrogé à plusieurs reprises, Hichem Meddeb, s'est même rétracté concernant les 117 terroristes qui seraient revenus en Tunisie pour renforcer les rangs des terroristes au mont Chaambi. «Je n'ai jamais dit qu'ils étaient revenus, j'ai dit qu'ils projetaient de revenir. En fait lorsque j'ai transmis la liste des 117, je croyais que les autorités n'avaient rien fait, mais après, je me suis rendu compte, après avoir porté plainte à ce sujet qu'il y a eu, tout de suite, des mandats de recherche à leur encontre, et sur cette base, j'ai retiré ma plainte», a déclaré Meddeb. La volte-face du sécuritaire Hichem Meddeb Dubitatifs, les membres de la commission n'en reviennent pas. Ce qu'il affirme «les yeux dans les yeux» est totalement le contraire de ce qui a été indiqué dans le rapport de l'Organisation Tunisienne de la Sécurité et du Citoyen, présenté le 20 novembre 2016 à la commission d'enquête, par Issam Dardouri. Le rapport avait inclus en effet une correspondance rédigée par Hichem Meddeb, dans laquelle il affirme avoir reçu des informations d'un «indic», selon lequel «117 terroristes sont revenus...pour renforcer les rangs des terroristes au mont Chaâmbi». Meddeb ajoute même que «le parti» qu'il croyait être derrière l'envoi des jeunes aux zones de conflit «contribuait aux efforts de la police pour retrouver ceux qui avaient des velléités de départ». Ameur Laârayedh (Ennahdha) a réagi en bondissant littéralement de sa chaise et s'est étonné de ne pas voir ces «rectifications» mentionnées dans le rapport d'Issam Dardouri. S'indignant, à son tour, Mongi Rahoui a une tout autre explication des contradictions : « J'ai l'intime conviction que vous avez complètement changé votre version des faits suite à des pressions». Du début à la fin, le récit de Meddeb était parsemé de fortes incohérences. «C'est une véritable mascarade !», dit à voix basse Houda Slim (Nidaa Tounes), en se tournant vers les journalistes présents. Encore une fois, sans donner la moindre preuve, le concerné nie l'existence de «réseaux». Selon ses dires, il s'agit d'individus ou groupes d'individus qui décident de leur propre chef de partir. «Ce qui s'est passé à la commission est dangereux» Pour Leila Chettaoui (Machrou Tounes), rapporteur adjoint de la commission, qui a quitté l'audition avant la fin, il est évident que Meddeb, qui n'a d'ailleurs aujourd'hui aucune fonction précise au sein de l'institution sécuritaire, avait pour seul objectif de démonter le témoignage d'Issam Dardouri. «Ce Monsieur n'est pas crédible, il n'a d'ailleurs jamais travaillé sur le terrorisme, même ses collègues disent cela, nous explique Leila Chettaoui. Ce qui s'est passé lundi à la commission est dangereux». Encore une fois, Leïla Chettaoui fustige l'actuelle présidente de la commission Héla Omrane. «Dans cette commission, il n'y a aucune vision ni aucune stratégie, dit-elle. Lorsqu'on dirige une commission comme celle-ci, on se doit d'être sélectif mais aussi d'auditionner avant tout les responsables politiques de l'époque, je pense au ministre de l'Intérieur, au secrétaire d'Etat à la Sécurité, au directeur général de la Sûreté, au directeur général des renseignement etc.». La députée s'inquiète de la tournure que prend le travail de la commission, surtout que lundi prochain, Abdelkarim Laâbidi, ancien cadre du ministère de l'Intérieur, sera auditionné à son tour. «Il est du même acabit que M. Meddeb, il n'aura rien à ajouter, il ne fera que démolir le travail de la commission», affirme Chettaoui. Abdelkarim Laabidi devait être entendu lundi, mais son audition a été reportée pour le début de la semaine prochaine, vu que le témoignage de Meddeb avait pris beaucoup de temps. Contacté par La Presse, le sécuritaire syndicaliste Issam Dardouri n'a pas souhaité porter de jugement au sujet de la volte-face de Meddeb. « Nous avons des documents signés de sa main, nous avons présenté ces document à la commission parlementaire et c'est tout, déclare-t-il. Tout est clair, après, s'il change de version, c'est son problème. Ces questions relèvent de la sécurité nationale, ce n'est pas un jeu ! ». Perçu par beaucoup comme une tentative de «blanchir Ennahdha de toute responsabilité», le témoignage de Meddeb devant la commission d'enquête jette un sérieux doute sur la capacité de cette commission de parvenir à un résultat crédible et convaincant.