Baâziz et Ayachi donnent une leçon magistrale aux romanciers en mal d'inspiration en échafaudant une saga de proportions épiques où la recherche révèle une réalité bien plus étonnante que la fiction. Le travail en profondeur d'un géologue et d'un historien qui étonne comme une sonate jouée à quatre mains. Emile Zola, avant de s'attaquer à chacun des vingt volumes de sa saga sur les Rougon-Macquart, amassait une somme considérable de recherche, non seulement sur les faits, l'histoire, la société... mais aussi sur les lieux dont il parvenait à comprendre le rythme par ses croquis raisonnés. Résultat, une fresque splendide où les détails ciselés dans la masse de l'écriture cristallisaient le plausible de la fiction pour l'ériger en une réalité parallèle aussi cohérente que la réalité «réelle». Et alors que cette tradition de recherche se perd de plus en plus dans le roman tunisien qui ne vit plus en majorité que par les survols de surface, voici que cet ouvrage de Baâziz et Ayachi attire notre attention par sa structure qui ressemble à des fiches de romancier, documentées et ordonnées et par sa matière dont la densité et la clarté pourraient être un modèle du genre ; une mesure d'étalonnage réalisée par un géologue et un historien qui étonne comme une sonate jouée à quatre mains. Les preuves de melting-pot Un lieu hors normes, un théâtre se prêtant à toutes les dramaturgies. Voici comment Sousse nous apparaît dans cet ouvrage où il est très facile de se retrouver en train de méditer dès les premières pages. C'est comme si on voyait défiler les chasseurs-pêcheurs qui habitaient là, il y a plus de 5.700 ans, alors que les strates géologiques en mille-feuilles sur quelque 40 mètres ont révélé déjà des preuves d'échanges avec les îles méditerranéennes. Une destinée de melting-pot qui commence par les premiers sédentaires qui assimilent les immigrants venus de l'Afrique subsaharienne, du Proche-Orient, du pays de Canaan, du Yémen, d'Asie mineure, des îles de la mer Egée, d'Europe du Nord, de la Péninsule ibérique, des îles tyrrhéniennes... Ce n'est pas tout, avant l'arrivée des Phéniciens, il y a avait aussi les Imazighen composés de Numides, Maures, Gétules et Libous. Plus tard, des Assyriens mèdes et des Perses se mêlent également à la population. Sous les Phéniciens, elle devient Hadrim avant Carthage (mais après Utique) alors qu'elle leur sert de comptoir d'approvisionnement et d'étape. Indépendante de personnalité, elle se désolidarise de Carthage pendant la Troisième guerre punique et rejoint le camp de Rome qui lui accorde le statut de ville libre. Elle ne le restera pas longtemps car, au fil du temps, Sousse change successivement d'occupant et de nom. De Hadrim sous les Phéniciens, les Romains Hadrumetum, les Vandales Hunéricopolis, les Byzantins Justiniapolis, les Arabo-musulmans Soussa, les Français Sousse. La ville connaît par alternance des périodes florissantes et des périodes décadentes. Elle atteint la première fois son apogée à l'époque romaine, aux IIe et IIIe siècles, puis la seconde fois sous les dynasties aghlabide et zyride aux IXe et Xe siècles, et la troisième fois à l'époque contemporaine. Associée à tous les mouvements Sous le protectorat français, Sousse entre en construction puis en expansion, surtout hors des murs de la Médina. Apparaît alors une population dynamique composée de plusieurs communautés, émergeant en élite soussienne qui voit apparaître le mouvement nationaliste. Les événements et les hommes se singularisent dans cette lutte jusqu'aux années de transition qui ont mené à l'indépendance. En première ligne avec son voisinage sahélien, Sousse a été associée à tous les mouvements politiques, sociaux et syndicaux qui ont jalonné l'Histoire du pays durant un demi-siècle. Elle n'a pas cessé de s'agrandir à la faveur de l'exode massif des populations rurales des régions voisines en soixante ans d'indépendance. Aujourd'hui, de nombreuses Facultés et Instituts supérieurs en font un pôle universitaire important. Les activités industrielles et tertiaires prolifèrent mais c'est surtout l'irruption du développement rapide et continu du tourisme qui fait d'elle l'une des villes les plus importantes du secteur en Tunisie. Ses belles plages, ses infrastructures hôtelières de grande qualité et ses festivals culturels font de la Perle du Sahel et de son voisinage immédiat une zone touristique très prisée par les visiteurs étrangers qui y affluent à plus d'un million chaque année. Par son architecture, son urbanisme et le caractère et le mode de vie des ses habitants, Sousse constitue un musée vivant relatant l'histoire des civilisations et des cultures qui s'y sont succédé pendant trois millénaires. Une inspiration pour tous ceux qui cherchent une vision, une idée, le sens de l'histoire et de la grandeur, un point de départ pour tisser une œuvre qui se distingue du lot. Si Sousse m'était contée, 582 p., mouture française Par Ameur Baâziz et Slaheddine Ayachi Editions Iris, 2018