Les experts et les spécialistes du patrimoine s'indignent que le nouveau projet de loi sur les immeubles menaçant ruine ait été élaboré sans avoir été associés au débat ni avoir pris l'avis des professionnels du domaine. Grogne de la société civile au sujet du projet de loi relative aux bâtiments menaçant ruine et qui devrait passer devant l'Assemblée des représentants du peuple pour être votée par les députés. En effet, ce projet de loi fixe les procédures et étapes d'identification de ces bâtiments et les conditions d'interventions obligatoires des autorités locales et de l'Etat, étant donné qu'ils menacent la sécurité de leurs occupants, des piétons et des voisins. Ce projet de loi fixe, également, les procédures destinées aux propriétaires pour solutionner les problèmes relatifs au recouvrement des dépenses, à la suite d'une démolition ou évacuation ou restauration de ces bâtiments, tout en fixant les cas qui nécessitent l'intervention de l'Etat. Cette décision a été prise suite à l'effondrement d'un ancien immeuble à Sousse, en octobre 2017, provoquant la mort de 6 personnes dont 3 enfants. Mohamed Salah Arfaoui, ministre de l'Equipement, de l'Habitat et de l'Aménagement du territoire, a annoncé, lors de la réunion de la commission de l'industrie, de l'énergie, des ressources naturelles, l'infrastructure et de l'environnement, tenue le 8 février au sein de l'ARP, que 5.000 constructions menacent ruine et constituent un réel danger pour de leurs propriétaires, leurs exploitants ou les passagers et aux constructions limitrophes. L'avis d'experts en patrimoine ou en sauvegarde des monuments historiques n'ont pas été sollicités, ce qui a fait monter au créneau les spécialistes en la matière. Zoubeir Mouhli, directeur de l'Association de sauvegarde de la Médina, estime, dans un texte publié sur sa page Facebook, que cette loi a été faite dans la «précipitation», sans associer les gens du domaine et appelle à la «vigilance». Selon lui, il s'agit d'une loi répressive qui va engendrer «des destructions massives dans les zones centrales des grandes villes et provoquer un dégât et des pertes plus importantes parmi les beaux immeubles des XIXe et XXe siècles, toujours convoités et menacés par la spéculation foncière», ajoutant aussi que cette loi représente «une régression dans la protection du patrimoine tunisien pour lequel des militants se sont donnés à fond afin qu'il rayonne à travers le pays et dans le monde et qui a su attirer respect, prix et distinctions». Le ministère des Affaires culturelles exclu Dans un article intitulé «Le patrimoine qui tue... tuons-le», publié dans La Presse de Tunisie, le Dr Abdelaziz Daouletli, ancien directeur général de l'INP et ancien vice-président de l'ASM, n'y est pas allé de main morte, puisqu'il a considéré cette loi de «dangereuse» dans la mesure où elle a pour objectif de donner «un pouvoir presque discrétionnaire au ministre de l'Equipement, de l'Habitat et de l'Aménagement du territoire pour intervenir promptement lorsqu'un immeuble donne des signes de délabrement avancé et constitue un danger public aussi bien pour ses éventuels occupants que pour le voisinage ou pour les passants». L'ex-directeur de l'INP reproche à ce projet de loi d'exclure le ministre des Affaires culturelles du rôle qui lui est dévolu selon lequel «le code du patrimoine historique, archéologique et des arts traditionnels (février 1993), la mission de protection des monuments et des sites se trouverait, en application du présent projet de loi, désisté de ses fonctions et derrière lui les institutions spécialisées relevant de son département». Néjib Snoussi, directeur général de l'Habitat au ministère de l'Equipement, a déclaré dans une interview publiée dans La Presse de Tunisie du 09/10/2017 que, selon les recensements de 2012, 4.000 immeubles et maisons dont 200 situés dans les grandes agglomérations menacent ruine et constituent un danger pour leurs habitants. Ces habitations sont dans une situation foncière non assainie, ce qui complique en partie les interventions des privés pour les entretenir et les restaurer. «Le ministère de l'Equipement, de l'Habitat et de l'Aménagement du territoire a préparé, depuis fin 2015, un projet de loi relative aux immeubles menaçant ruine qui propose les modalités d'intervention dans le cas de déclaration d'un immeuble qui menace ruine, et ce, à travers des procédures bien définies dans le temps permettant aux communes d'intervenir immédiatement. Ces mesures donnent la priorité à l'évacuation immédiate des occupants en cas de danger imminent. De plus, ce projet de loi définit le rôle des communes pour traiter les constructions menaçant ruine. Ce projet de loi permettra à l'Etat d'intervenir directement à travers le ministère chargé de l'habitat pour réaliser des opérations de rénovation et de réhabilitation des centres anciens par le biais des promoteurs publics (Snit — Arru,...), a affirmé, par ailleurs, le DG de l'Habitat. Pour sa part, Mustapha Kheireddine, urbaniste et chercheur en sciences de la ville s'interroge dans un article paru dans son blog: «Si le nouveau cadre législatif des constructions menaçant ruine sera efficace.». Selon lui, il aurait été opportun d'unifier les instruments d'intervention sur la ville pour un contrat d'intervention globale qui traitera les questions de la mise à niveau urbaine, du renouvellement urbain, l'édifice menaçant ruine — quand il existe — et tous ceux qui versent dans l'amélioration des milieux de vie.