Par Khaled TEBOURBI Nous savons tous, plus ou moins, ce qu'est la génétique. Science révolutionnaire, complexe, non encore parvenue à ses fins, mais qui nous apprend, en substance, que nous sommes des êtres physiologiquement déterminés, «programmés à vie». Que savons-nous cependant de cette autre discipline auxiliaire qu'est l'épigénétique ? Probablement peu, sinon rien. L'épigénétique nous enseigne pourtant quelque chose d'aussi essentiel que la genèse, le fonctionnement et le devenir de notre «processus organique». Elle démontre, ni plus ni moins, que notre génome se transforme (mute, voire) au contact de l'environnement. Sommairement dit, nous ne dépendons pas que de notre «nature première», nous changeons, foncièrement, selon les cultures que nous nous sommes choisies. Terrifiante révélation : si notre «destin corporel» ne nous appartient pas en règle générale, si nous héritons de nos maladies ou de notre bonne santé, nous sommes, en revanche, directement responsables de l'évolution ou de l'involution de nos mœurs et de nos esprits. Terrifiant car on est dans la science exacte, plus dans l'interprétation intellectuelle. Génome et culture sont en interaction continue. La génétique donnait en quelque sorte à comprendre que l'humain est définitivement constitué. L'épigénétique inverse pour ainsi dire «la gangue»: notre espèce est aussi ce que nous en faisons. Point de non retour ? Génétique, environnement: ce court et forcément modeste «intermède scientifique» ne vise qu'à nous ramener à certaines réalités. Celles des arts et de l'audiovisuel par exemple. On les dit en régression aujourd'hui. Vrai : ils sont contaminés par l'argent et le mauvais goût. Dans nos contrées du Sud, le phénomène atteint d'insoutenables proportions. Pierre Bourdieu a parlé d'un «monde sous le joug de l'inculture». Pierre Bourdieu n'était pas seul à élever la voix, à appeler à en prendre conscience. Partout les intelligentsias avaient dénoncé la dérive. Et partout elles le font encore. Le problème, toutefois, est que pointer du doigt le mal ne suffit pas, ne suffit plus. Le danger, est que cette régression des arts et de l'audiovisuel (comme l'indiquent les épigénéticiens) en soit déjà à son point de non retour. A force de recul, d'imprévoyance, de laisser-aller, les valeurs et les références qui organisaient et orientaient la culture universelle se sont peut-être dissipées. D'autres se sont installées à leur place . Le «génome, culturel» a muté. Pire : ainsi dégradé il sera transmis. Mieux : une remise à plat Nos amis de l'ASBU viennent de consacrer le dernier numéro de leur revue trimestrielle à la situation de la chanson arabe, et, plus précisément, à la responsabilité des médias et de la critique dans ses difficultés actuelles. Excellents thèmes, fines analyses, et des solutions proposées sur lesquelles il sera sûrement intéressant de revenir. Néanmoins, et en toute apparence, nous en restons là où nous sommes toujours, c'est-à-dire à diagnostiquer «un état des lieux» et à préconiser des «réformes». Entretemps la chanson arabe ira son chemin habituel, les éditeurs et les satellitaires continueront à produire de mauvais clips et des tubes sans lendemain. Jusqu'au prochain dossier, jusqu'à la prochaine «alerte». Personne encore, hélas, ne songe à procéder à une réelle remise à plat, à sonder enfin les natures et les cultures, à aborder la question des arts, des publics de l'art, celle (décisive), de l'audiovisuel et des publics de l'audiovisuel, non plus sous leurs aspects immédiats, mais à partir de causes historiques et structurelles. Epigénétiquement s'entend.