La perpétuelle recherche de consensus sur fond d'équilibres catastrophiques est pernicieuse. Elle fragilise le gouvernement, à l'usure. Elle affaiblit surtout le chef du gouvernement Youssef Chahed a l'impression que le bateau prend l'eau de toutes parts. Son propre parti, Nida Tounès, le cautionne à peine. Il lui rend la monnaie de ses velléités d'indépendance, voire de ses ambitions non déclarées, jugées démesurées et inappropriées par le cercle rapproché de Hafedh Caïd Essebsi et ceux qui tiennent les rênes du parti. Ennahdha lui emboîte le pas Le gouvernement dit d'union nationale piétine. Il y a autour de lui beaucoup de brouillard. Tantôt il s'étripe intra-muros, tantôt il chancelle, en proie aux dissensions et dissidences plus ou moins déclarées. Bourguiba parlait souvent du démon des Numides. Cette propension des Tunisiens de l'Antiquité à sombrer dans les discordes et la désunion. Aujourd'hui, les protagonistes du fameux Document de Carthage ayant présidé à la formation du gouvernement dit d'union nationale en administrent la preuve. Par l'absurde le plus souvent. À telle enseigne qu'on peut parler de véritables valses carthaginoises. En fait, les signataires du Document de Carthage évoluent -végètent pour certains- en rangs dispersés. Le Document de Carthage ressemble à un moulin. On y entre et on en ressort à sa guise. De la manière la plus fantasque, fantaisiste et extravagante qui soit. Mohsen Marzouk, Slim Riahi, Néjib Chebbi et bien d'autres signataires dudit Document, en grande pompe et cérémonieusement, l'agitent parfois comme une vieille relique souillée. Et menacent de s'en retirer avant d'y retourner pour une adhésion du bout des lèvres. Les organisations nationales ne sont pas en reste. À un moment ou à un autre, les centrales syndicale et patronale ont pourfendu le Document de Carthage ou menacé de suspendre leur adhésion à ce pacte qui n'en est plus un. En fait, en guise de consensus, le gouvernement dit d'union nationale repose au bout du compte sur un accord à géométrie variable. Du coup, Youssef Chahed, chef du gouvernement, s'en retrouve fragilisé. Rien n'est pire qu'une recherche du consensus de tous les instants. Ça frise par moments l'amour intéressé ou le désamour obligé. Souvenons-nous. A la veille de la formation du gouvernement dit d'union nationale, l'été 2016, on avait convenu de deux accords essentiels, l'un sur les choix fondamentaux et l'autre sur la restructuration du gouvernement. Le premier a vu le jour et le second a été renvoyé aux calendes grecques. Mais, à l'épreuve des faits, il s'est avéré qu'il s'agit beaucoup plus d'arrangements partisans que d'autre chose. De toute manière, en matière économique, le gouvernement a désormais une très infime marge de manœuvre. Le désastre en la matière est tel que les choix sont dictés par l'urgence et les agendas de nos partenaires extérieurs obligés, FMI et Banque mondiale en prime. Et plus l'on se fragilise plus les immixtions extérieures se font ressentir. La faiblesse aiguise les appétits carnassiers. Les récentes batailles rangées entre l'axe Qatari-turc et l'axe saoudo-émirati autour de notre pays, par relais locaux interposés, en témoignent. Côté arrangements partisans, c'est le donnant-donnant. Un perpétuel marchandage des dignités et des avantages en vérité. Nida et Ennahdha, les deux partis majoritaires, se taillent la part du lion. Les autres se contentent de quelques miettes et strapontins. Les organisations nationales monnaient leur caution via accords économiques et sociaux assortis de «lignes rouges». Et ça repart chaque fois au gré des vicissitudes et des tournants. Ceux-ci peuvent être une loi de finances, des réformes de l'administration ou des réajustements financiers et monétaires. La perpétuelle recherche du consensus sur fond d'équilibres catastrophiques est pernicieuse. Elle fragilise le gouvernement, à l'usure. Elle affaiblit surtout le chef du gouvernement. Témoin, les déboires que vit depuis quelques semaines Youssef Chahed. Il a l'impression que le bateau prend l'eau de toutes parts. Son propre parti, Nida Tounès, le cautionne à peine. Il lui rend la monnaie de ses velléités d'indépendance, voire de ses ambitions non déclarées, jugées démesurées et inappropriées par le cercle rapproché de Hafedh Caïd Essebsi et ceux qui tiennent les rênes du parti. Ennahdha lui emboîte le pas. Bien pis, en août dernier, son chef, Rached Ghannouchi, avait exigé de Youssef Chahed de s'engager à ne pas se présenter à l'élection présidentielle de 2019, en contrepartie du soutien de son parti à Chahed en tant que chef du gouvernement. Ennahdha n'a pas changé d'avis depuis. L'Ugtt et l'Utica ont carrément affronté Youssef Chahed. Les patrons ont vu d'un mauvais œil la loi de finances 2018, menaçant alors de se retirer du Document de Carthage. Tout récemment, la centrale ouvrière a enjoint à Youssef Chahed de procéder à un remaniement ministériel ou, à défaut, de subir ses foudres et colère. Youssef Chahed est acculé dans ses derniers retranchements. Il est même obligé de faire du ménage dans son propre sérail, à son corps défendant. Aux dernières nouvelles, nombre de ses conseillers et ministres-conseillers sont sur le départ. Des secrétaires d'Etat prendront leur place. Son dernier bras de fer avec le ministre de l'Intérieur lui en a coûté autant qu'à son rival. Ceux qui tirent les ficelles sont ailleurs. Les jours à venir seront fort instructifs à ce propos. En définitive, en politique, il y a trois enseignements essentiels. Premièrement, les batailles les plus cruelles se livrent entre alliés. En deuxième lieu, un homme politique ne meurt jamais. Enfin, toute carrière politique ou presque finit, le plus souvent, mal. Enfin, enfin...