Par Abdelhamid Gmati Comme les autres secteurs, la justice connaît sa crise. Il y a, d'abord, la démission, lundi dernier, du président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Hatem Ben Khelifa. Aucune raison n' a été révélée. On sait, toutefois, que des problèmes sont survenus entre les membres du conseil concernant l'interprétation des prérogatives du président et celles du conseil. Une plénière élective se tiendra pour élire un président par intérim, jusqu'à l'élection en mai prochain, du membre manquant au sein du CSM, spécialiste en justice financière. Le CSM est une institution constitutionnelle garante, dans le cadre de ses prérogatives, de la bonne marche de la justice, et de l'indépendance du pouvoir judiciaire, conformément aux dispositions de la Loi fondamentale, et aux traités internationaux. Il est indispensable à la création de la Cour constitutionnelle. Ensuite, une enquête pénale a été ouverte sur les incidents du Tribunal de première instance de Ben Arous, en vertu de l'article 31 du Code de procédure pénale. Le ministre de la Justice, Ghazi Jeribi, qui a fait cette annonce lundi dernier, assure que « le ministère de la Justice a pris toutes les mesures nécessaires, aussitôt informé de ces incidents. La justice et le gouvernement ne tolèrent aucune ingérence dans les décisions de la justice, ni tentative d'influence tout comme ils ne lésinent pas sur la lutte contre toute forme de torture ». Et c'est, justement, cette indépendance de la justice qui fait polémique depuis quelque temps. On rappelle qu'une centaine de personnalités publiques ont critiqué, dans une lettre ouverte, les «dysfonctionnements et les dérives de la justice, son instrumentalisation et sa mise sous tutelle par l'exécutif». Les signataires (militants associatifs, militants politiques, universitaires, juristes, médecins, ingénieurs, cadres supérieurs, artistes, écrivains, enseignants) ont remis, en novembre dernier, leur missive au président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Hatem Ben Khelifa. Ils mentionnent : «Quand des crimes politiques sont commis, il n'est pas acceptable que 56 mois après, les coupables n'aient pas été sanctionnés», allusion aux deux opposants de gauche, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés en 2013. «Quand les atteintes aux droits de la défense se multiplient d'une manière aussi criante comme dans certaines affaires récentes, quand les citoyens expriment désormais des craintes de passer devant un tribunal de peur d'être victimes de ces dysfonctionnements et de ces dérives, il n'est pas étonnant que le citoyen tunisien n'ait plus confiance en la justice et se sente abandonné par les juges ». Ils insistent sur l'urgence d'une formation des juges et des policiers pour «les mettre au diapason de l'évolution sociale. Ces juges et ces policiers peuvent être de bonne foi, mais ils peuvent aussi être influencés par le conservatisme idéologique. Il faut inclure dans leur formation le respect des libertés individuelles. Par conservatisme idéologique et pour des considérations de ‘‘mœurs'', des jeunes policiers sont effarouchés devant des jeunes qui s'embrassent. Certains juges sont aussi en retard sur l'état de la société et jugent des faits sociaux selon des critères très dépassés. Une mise à jour sociologique s'impose ». Toutefois, la justice a ses performances et ses problèmes. Selon Ghazi Jeribi, « pour la première fois depuis des décennies, le nombre des condamnés va dépasser, dans les prochaines semaines, le nombre des détenus (en garde à vue et en détention préventive). Cette performance a été réalisée à la faveur de la diligence des juges dans le prononcé des jugements. Le nombre de condamnés est aujourd'hui égal à celui des détenus placés en garde à vue. Le nombre de détenus s'élève aujourd'hui à 22.500 contre 30 mille avant la révolution » (12 janvier dernier). Mais « il faut prendre en compte les enquêtes réalisées dans les établissements pénitentiaires et qui ont fait état de l'augmentation du taux de récidive et confirmé la surpopulation carcérale. Il semble nécessaire d'opter pour des peines alternatives comme la surveillance électronique (usage du bracelet électronique). Les spécialistes considèrent que « certains codes juridiques tunisiens sont désormais caducs. Ils ont été élaborés il y a plus d'un siècle. Leur révision paraît aujourd'hui indispensable, notamment après la promulgation de la Constitution de 2014 qui vient consacrer certains droits et libertés et la ratification par la Tunisie de plusieurs conventions internationales y afférentes ». En fin de compte, la justice a, aussi, besoin de sa révolution.