«Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire» (Bakaytou damâan douna âynen), la dernière création du chorégraphe et metteur en scène tunisien, Radhouane El Meddeb, présentée, en partenariat avec l'Institut français de Tunisie et le Théâtre national tunisien, jeudi et vendredi derniers à la salle le 4e Art à Tunis. Après avoir créé, en 2014, «Au temps où les Arabes dansaient»... et, en 2015, chorégraphié pour la Biennale Collège de la danse à Venise «Nous serons tous des étrangers» et donné la première de «Heroes», prélude, pièce pour dix interprètes issues des danses urbaines, au Panthéon à Paris, qui accueille pour la première fois de la danse contemporaine et après avoir créé, pour Montpellier Danse 2016, le solo «A mon père, une dernière danse et un premier baiser» dont il est l'interprète, Radhouane El Meddeb est revenu en Tunisie pour présenter sa toute nouvelle création «Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire», performée au prestigieux Festival d'Avignon. Une œuvre créée à Tunis avec le soutien de l'Institut français de Tunisie. Dès les premières secondes de la pièce, alors même que la salle et la scène sont encore plongées dans le noir, un piano et deux interprètes font leur entrée. Ils s'installent au coin de la scène, annonçant la présence des corps à venir. Dans un décor dépouillé, peu à peu, les danseurs se font signe d'une écriture automatique, qui se dessine comme une improvisation. Ces corps, en équilibre perturbé, improvisent un récit dans une prose décousue. Dans cette nouvelle création, l'approche moderne du mouvement chorégraphique s'articule au fil d'une variation musicale ancrée dans le patrimoine musical traditionnel tunisien. Le contenu émotionnel repose, justement, sur cette connexion ténue entre la danse et la musique. Une magnifique reprise de chansons du malouf tunisien interprétées par Mohamed Ali Chebil (chant) et Jihed Khmiri (piano) accompagne les danseurs. Fragiles et fluides, les mouvements sont rompus par des postures mécaniques et épurées. C'est sur ce paradoxe musical que tentent de se discipliner ces corps balancés entre harmonie et disharmonie. Seize pieds nus s'élancent, se cabrent, s'affolent et chutent. D'autres éléments anecdotiques sont déposés au cours des tableaux dansés, des gestes du quotidien viennent ponctuer certains mouvements et redimensionnent la chorégraphie à la mesure d'une performance équilibrée et de laquelle se dégage une belle énergie. Avec ce spectacle de danse contemporaine, Radhouane El Meddeb réinvente la ligne de fuite. Une pièce chorégraphique pour huit artistes danseurs, venant de différents horizons artistiques, danse, théâtre et musique ; citons : Sondos Belhassem, Malek Sebaï, Houcem Bouakroucha, Hichem Chebli, Youssef Chouibi, Fateh Khiari, Majd Mastoura, Malek Zouaidi et Mohamed Ali Chebil (chant) et Jihed Khmiri (piano et musique). Jihed Khmiri injecte de la poésie dans un contexte prosaïque : celui des hommes et des femmes de l'après-«Révolutions arabes» en Tunisie comme ailleurs. Fuyant des situations bloquées (guerres, conflits, pauvreté, etc.), tournant vers la mer dans un face-à-face révélateur. Les solos sont de qualité contrastée et, sous le joug de la musique, les regards s'égarent dans l'horizon, face à «la mer», d'où le titre de la pièce chorégraphique, lui livrant leurs mots et leurs maux, le récit de leurs combats, leurs rêves et leurs chagrins, leur passé et leur avenir et ils y versent leurs larmes, toutes les larmes de leurs corps et de leurs cœurs. Puis, ailleurs, quelques silences viennent, en contrepoint, sublimer la danse et révéler des instants de grâce. La scène, catalyseur d'émotions, évoque le mouvement incessant de la vie. Dans une course frénétique au bonheur, s'articulent des jeux d'enfants, des querelles d'adultes, des envolées d'amants. Quelques instantanés de cohésion sociale et un tâtonnement d'espaces possibles projettent de doux moments de tendresse et d'absurdité. Tout au long de la pièce, on admire les prouesses techniques, la virtuosité, la confrontation et le défi, la dérision et le détournement des codes. La danse est rythmée par des frappes soutenues et des pieds essayant de proposer au spectateur une expérience unique où le corps est évoqué comme une «masse ouvrière de l'art», où «la création apparaît comme un acte résistant, vain, mais essentiel !» Avec «Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire», Radhouane El Meddeb tire une flèche, des larmes aux rires, de la mélancolie à la joie. Face à la fatigue de vivre, l'énergie de la danse crée l'espoir.