«Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire», œuvre chorégraphique produite pour le festival d'Avignon, sera au Cloître des Carmes pour 5 représentations les 20, 21, 22, 24 et 25 juillet 2017. Belle consécration pour un parcours brillant. Ce n'est pas tous les jours qu'un artiste tunisien et pas des moindres est produit par le festival d'Avignon et ce n'est pas facile d'accéder au prestigieux cercle des créateurs qui se produisent sur les scènes des plus importantes plateformes de théâtre au monde. Sauf que Radhouane El Meddeb n'est pas un artiste ordinaire, son regard sur le monde, ses variations artistiques, sa sensibilité doublée de rigueur et de professionnalisme lui ont valu plus d'un succès et surtout de la reconnaissance à l'échelle internationale. Sans énumérer ses multiples créations, il faudrait juste retenir qu'en avril 2015, son spectacle Heroes, prélude, une première forme de 20 minutes, a été présenté au Panthéon, qui accueille pour la première fois de la danse contemporaine. Radhouane avait travaillé avec des Breakers, vogueurs, hip-hopeurs ; son regard a été attiré par la pulsion de vie de leurs mouvements vifs, de leurs désirs aiguisés. Il a tenté de comprendre ce qui se joue sur cette scène de bitume étrangère à son univers poétique, dans ce cercle improvisé où ils se jettent, fragiles, parfois perdus, à la recherche de l'autre. S'appuyant sur les détails de cette vitalité qui a déplacé sa vision de la danse, il a créé un spectacle avec neuf de ces héros acharnés de danse urbaine. Son nouveau projet au titre si poétique «Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire» est une création pour la 71e édition du Festival d'Avignon qui se déroulera du 20 au 25 juillet 2017 au Cloître des Carmes. Cet espace, qui fut le premier lieu à avoir été investi par le Festival d'Avignon après le Palais des papes, accueille depuis 1967 des créations théâtrales et chorégraphiques. Entre ses murs datant du XIVe siècle, il offre une scène à ciel ouvert qui se prolonge sous les arcades et peut accueillir près de 500 spectateurs... C'est là-bas que «Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire» se produira pour 5 représentations les 20, 21, 22,24 et 25 juillet 2017. «Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire» est une œuvre dont le procesus de création a commencé en août 2016 avec une phase de recherches, des auditions, des résidences de travail à Tunis et en France et une avant-première qui aura lieu à l'Hippodrome de Douai - Tandem scène nationale Des hommes, des femmes tournés vers la mer. Ils regardent, s'adressent à cet espace à la fois réel et fictionnel, à cette culture du littoral qui du Liban ou de la Tunisie place les êtres face à une immensité que l'on fête, accable ou rêve... La mer que l'on contemple, ce sont aussi ces rangées de spectateurs à qui l'on s'adresse mais que l'on ne voit plus. «Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire» est l'histoire d'un homme, d'un Tunisien mais aussi français qui raconte une identité multiple. C'est la décision de Radhouane El Meddeb d'aller créer en Tunisie, de rejoindre ceux qui ont participé à la révolution, mais ceux aussi qui regardent avec méfiance celui qui a abandonné le pays natal. Revenir, dire son tumulte émotionnel, danser sa colère face à un pays qui laisse les classes pauvres aller vers les extrémistes, c'est le chemin que le chorégraphe assume. En révélant une vision de la Tunisie moderne en prise avec une histoire ambiguë, la pièce dit le deuil personnel mais aussi universel. Dans l'espace presque vide du plateau, la présence du texte et de la musique raconte l'échappatoire qu'offre l'eau. Que ce soit après une journée de travail, avant de prendre une décision, cette immensité reste toujours le lieu que l'on contemple, auquel on s'adresse et auquel on livre soucis, incertitudes et rêves de politique et d'absolu. A propos de cette création, Radhouane El Meddeb exprime en disant : «Une autre partie de moi m'échappe, ce pays qui est aussi le mien ne m'appartient plus. Beaucoup de changements, de bouleversements, de transformations et de revirements : je les ai attendus, espérés, rêvés, mais je les appréhende, aussi ! Aujourd'hui, je veux cesser de regarder cette Tunisie de loin, je veux trouver un langage pour m'en approcher, par mes propres codes, et avec celui que je suis devenu. Je décide aujourd'hui de "rentrer", avec mon nouveau langage, avec mon nouvel être, dans ce pays qui change, que je connais si mal. Comme une réconciliation, ce voyage est douceur, mais il est aussi un moyen de se dépasser et de pousser les limites, encore une fois, comme on passe des frontières, comme on joue avec les identités. C'est aussi une consolation, ce geste troublant de se prendre dans les bras, de se laisser remuer par les autres qui consolent. Comme il y a quelques hivers, en arrivant dans la nef du cent quatre (pour la pièce Heroes, prélude), je vais regarder, explorer, ressentir, écouter ce qui se dit et travailler cette matière neuve, "Ma Tunisie". Alors que dans l'espace parisien, je voyais ces jeunes gens s'acharner à reproduire des danses, à se dépasser, je vais lire à présent d'autres corps et d'autres voix. Après avoir dansé les rues de Tunis et la révolution, après avoir exploré le corps libre des Arabes, je veux aujourd'hui creuser chez moi et creuser au fond de moi, trouver des danseurs et interprètes et leur proposer de se dire, les mettre en voix, me libérer avec eux, leur proposer de partir avec moi à la recherche d'une nouvelle expérience. Je vais me mettre face à la mer, là où les larmes deviennent des éclats de rire, je vais entrer dans les profondeurs du pays, là où je ne me suis jamais aventuré. Je veux partir à la rencontre, me fondre, connaître et rencontrer les êtres qui ont fait l'histoire, ceux qui vibrent au rythme de la Tunisie d'aujourd'hui, dont je me sens à la fois si loin et si proche. Cela me fait penser, à Wim Wenders qui filme Berlin après la réunification, une ville qu'il a quittée depuis longtemps, et réalise "Les ailes du désir". Sur scène, le public appréciera une pléiade de nos danseurs dont Sondos Belhassen, Houcem Bouakroucha, Hichem Chebli, Youssef Chouibi, Feteh Khiari, Majd Mastoura, Malek Sebaï, Malek Zouaïdi ainsi que Mohamed Ali Chebil au chant sur une musique de Jihed Khmiri. Les costumes : Kenza Ben Ghachem, la lumière signée Xavier Lazarini et une scénographie d'Annie Tolleter avec collaboration artistique de Ziane Moustapha Et pour les mémoires oublieuses, rappelons que Radhouane El Meddeb a été formé à l'Institut supérieur d'art dramatique de Tunis, il a collaboré avec Fadhel Jaïbi, Taoufik Jebali et Mohamed Driss, puis a développé son univers de chorégraphe en France pour signer sa première création en 2005, Pour en finir avec moi, un solo en forme d'introspection intime. Après de nombreuses collaborations théâtrales, en faisant le choix de passer du théâtre à la danse, il crée plusieurs solos, tels Quelqu'un va danser... et Je danse et je vous en donne à bouffer. En 2010, il crée sa première pièce de groupe, ce que nous sommes, avant de devenir artiste associé au Cent quatre à Paris en 2011. Suivront un solo en collaboration avec le chorégraphe Thomas Lebrun et, en 2014, une deuxième pièce de groupe, Au temps où les arabes dansaient... En 2015 et 2016, il créé successivement Heroes, prélude et Heroes, ainsi qu'une pièce hommage à son père. Face à des questions qui abordent le départ, l'absence, la solitude, le chorégraphe ressent le besoin viscéral d'interroger sa double culture et la rupture qui la constitue en créant «Face à la mer, pour que les larmes» deviennent des éclats de rire avec des artistes tunisiens. Radhouane El Meddeb est présent pour la première fois au Festival d'Avignon.