«Au temps des diagnostics, tout le monde est d'accord, mais lorsque vient le temps des réformes, chacun estime qu'il faudrait commencer par le voisin», déclare le chef du gouvernement D'emblée, Chahed choisit son camp, citant le verset 160 de Sourat Al-Omrane : «Si Allah vous donne Son secours, nul ne peut vous vaincre. S'Il vous abandonne, qui donc après Lui vous donnera secours ? C'est à Allah que les croyants doivent faire confiance». Il a estimé que ceux qui en voulaient au gouvernement, qu'il continue de qualifier "d'union nationale", sont ceux qui ne souhaitent pas que les élections municipales se tiennent à la date prévue. Sans citer ouvertement «les parties hostiles à la poursuite de la transition démocratique et la décentralisation et rêvent d'un retour de la dictature», Chahed dédouane le chef de l'Etat et son gouvernement. A plusieurs reprises dans son allocution, le chef du gouvernement fera l'éloge du président de la République Béji Caïd Essebsi et rappelle que c'est lui, en personne, qui l'a proposé pour la présidence du gouvernement. «C'est un homme d'Etat, l'un des bâtisseurs de l'Etat nation, qui mise aujourd'hui sur une nouvelle génération de politique», dit-il. Peu avant, il réaffirme être «membre de Nida Tounès». Des éloges qui font dire à Ahmed Seddik, président du groupe parlementaire du Front Populaire, que Chahed est venu caresser la présidence et la majorité dans le sens du poil pour ne pas perdre sa place. Pourtant, au milieu de son allocution, Chahed glisse : «Je n'accepterai pas, pour la simple raison de garder mon poste, d'être un faux témoin». Sur le fond, Youssef Chahed défend son bilan estimant que malgré le contexte difficile dans lequel son gouvernement a été créé (quelques mois seulement après des attentats sanglants), son équipe a fait du bon boulot notamment dans la stabilisation de la situation sécuritaire. «Tout le monde salue le travail de la police et de l'armée, mais accuse le gouvernement de tous les maux ! mais l'institution sécuritaire ne travaille pas seule, il y a le président de la République et les ministres relevant du gouvernement», lance-t-il. Selon lui, il faudrait du temps pour que la reprise en main de la situation sécuritaire se traduise par une reprise du cycle économique. Aux députés, il fait distribuer des projets futurs du reste de son mandat, ainsi qu'un document qui retrace les résultats du travail gouvernemental: l'amélioration du taux de croissance, une baisse du chômage chez les jeunes diplômés de 1,7%, une hausse des exportations de 40% et une nette amélioration dans le secteur du tourisme en 2018 qui devrait enregistrer une hausse des recettes de 25% cette année. La résistance au changement Le chef du gouvernement a dénoncé dans son discours la réticence aux réformes, qui, est, selon lui, le principal frein actuellement. «Au temps des diagnostics, tout le monde est d'accord, mais lorsque vient le temps des réformes, chacun estime qu'il faudrait commencer par le voisin», déclare-t-il, à l'adresse des syndicats, sans les nommer. Les grandes réformes qu'il semble avoir du mal à mettre en place sont ceux des caisses sociales dont la situation est critique. Cent millions de dinars sont engloutis chaque mois par ces caisses pour combler leurs déficits. Les projets de loi relatifs à cette réforme sont prêts, mais les partenaires sociaux sont encore réticents. Chahed leur lance un petit ultimatum. «Nous allons demander la semaine prochaine aux partenaires sociaux une position finale, avant de faire passer le projet en Conseil des ministres, nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. Le chef du gouvernement pointe également le gouffre financier que représentent les entreprises publiques qui souffrent d'un «déficit structurel». «Le déficit cumulé de ces entreprises avoisine les 6.500 millions de dinars». Le gouvernement envisage donc une restructuration de ces entreprises, «tout en veillant à préserver les emplois et les acquis des salariés», tente-t-il de rassurer. Youssef Chahed précise également que «restructuration» ne rime pas forcément avec «privatisation». Réagissant au discours, Mongi Rahoui (Front populaire), président de la commission des finances, a considéré que c'était un discours à destination, non pas du peuple tunisien, mais de Nidaa Tounes et de BCE, pour leur déclarer son allégeance totale. «Il donne aussi un signal au parti Ennahdha, grand favori des élections municipales, pour le rassurer quant au maintien de la date», dit-il à La Presse. Selon lui, cette attitude est compréhensible compte tenu du fait que l'Ugtt le laisse sur la sellette, Chahed chercherait donc à se créer un cordon politique composé d'Ennahdha, Nida Tounès, et le président de la République. Verre à moitié vide et à moitié plein «Sur le fond, comme d'habitude, on tente de transformer l'échec en succès», commente Mongi Rahoui. Commençant la guerre des chiffres, il rappelle que le taux d'inflation est à 7.2%, que le taux d'endettement dépasse 70% du PIB, que le déficit budgétaire se situe aux alentours de 6,5%, que le déficit de la balance commerciale représente à peu près 15 000 millions de dinars, que les réserves en devises ne couvrent que 76 jours et que Moody's a encore rétrogradé notre note. De son côté, Walid Jalled, député du bloc national, défend le chef du gouvernement. «Le gouvernement a donné un plan pour les mois qui viennent et c'est très bien», note-t-il. Néanmoins, il reconnaît que les réformes ont pris du retard, mais il tient à relativiser. «Prenons l'exemple des caisses sociales. Jusqu'à présent les partenaires sociaux n'ont pas donné leur avis, et en ces temps délicats, il fallait chercher les compromis afin de maintenir la paix sociale», explique-t-il. Preuve que les rapports s'apaisent entre Nida Tounès et le chef du gouvernement, Mongi Harbaoui (Nida Tounès), change complètement de discours et choisit ses mots. «Nous ne parlons pas d'un après-Chahed, nous sommes encore dans le cadre du gouvernement d'union nationale et du document de Carthage», précise-t-il.