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Plutôt qu'un fardeau, un stimulant pour l'économie
Grand Reportage — Travailleurs migrants en Tunisie
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 03 - 2018

«L'eldorado ne se trouve pas uniquement en Europe. D'ailleurs, plusieurs Européens viennent cultiver leur jardin en Afrique, aujourd'hui», certifie Georges Patrick, restaurateur camerounais, occupant le coin d'une petite ruelle, dans le centre-ville de Tunis.
Arrivé en Tunisie en 2012, cet homme affable comptait transiter par la capitale du printemps arabe vers un pays du vieux continent. Mais après plusieurs tentatives infructueuses, il a fini par renoncer à son projet initial pour s'installer et bâtir son avenir dans ce pays nord-africain.
«Généralement, les Subsahariens n'ont qu'un seul souhait: rejoindre l'Europe à tout prix. J'étais un de ceux-là. A plusieurs reprises, j'ai tenté la traversée, sauf que ça n'a jamais marché. Je me suis alors demandé: pourquoi ne pas travailler et réussir en Afrique? Du coup, j'ai pensé à me servir de mon expérience dans la restauration», se souvient Georges.
Armé d'un savoir-faire hérité de ses aïeux, il a tout de suite entrepris les démarches administratives afin d'obtenir sa carte de séjour et son statut d'investisseur. «J'ai mis un an pour régulariser ma situation et obtenir les autorisations requises pour mon projet. Ce n'était point de tout repos, vous savez comment ça fonctionne la préparation des paperasses, ici en Tunisie. Mais Dieu merci, j'ai eu ce que je voulais au final», se réjouit le restaurateur camerounais.
Avec des moyens financiers limités, Georges Patrick a démarré son projet avec seulement 1.500 dinars tunisiens (près de 500 euros). Il a dans un premier temps bénéficié d'une gérance libre auprès d'un restaurateur sénégalais qui avait changé d'activité. Peu après avoir obtenu ses documents administratifs, il a fini par ouvrir son propre restaurant.
Ses clients sont de diverses nationalités. Les Tunisiens viennent découvrir les mets du continent noir. Les ressortissants originaires de pays subsahariens, étudiants ou travailleurs migrants, partagent, chez lui, des moments agréables autour d'une cuisine africaine traditionnelle et succulente. Et Georges en convient : «Les Tunisiens surtout, bien qu'ils soient africains, connaissent peu les plats d'Afrique noire. Chez moi, ils découvrent les saveurs propres aux contrées ouest-africaines et se réjouissent en dégustant des recettes et des cocktails qui invitent au voyage.
En perpétuelle partance entre la Tunisie et le Cameroun, il dit avoir fait le bon choix et compte bientôt embaucher d'autres Tunisiens pour «aider à la lutte contre le chômage» dont souffre le pays (plus de 15% en 2017, selon des statistiques officielles).
Si Georges le Camerounais a choisi la restauration pour se faire une place, Loulou le Congolais a opté pour la coiffure après des études universitaires en télécommunication.
Entré en Tunisie en 2006 pour poursuivre ses études universitaires, ce jeune trentenaire n'a pas pu décrocher un poste dans son domaine malgré plusieurs années de labeur et de sacrifices. L'idée de revenir au Congo le tentait peu. Loin de son pays et de sa famille, il n'a pu compter que sur lui-même pour échapper aux affres de la précarité. «Comme j'ai de l'expérience dans le domaine de la coiffure africaine, j'ai déjà exercé cette profession au Congo, j'ai décidé de me lancer, avec le soutien de mes parents», fait remarquer Loulou.
Grâce à l'assistance d'un avocat tunisien, il a pu obtenir sa carte de séjour et les papiers nécessaires pour monter un projet dans la banlieue nord de Tunis.
«En 2010-2011, il n'y avait pas de salons de coiffure africaine malgré la présence d'une grande communauté subsaharienne. C'est pourquoi j'ai décidé d' être l'un des précurseurs. Aujourd'hui, je suis sollicité autant par les Subsahariens que les Tunisiennes qui viennent pour des tresses à l'africaine», se réjouit-il.
Du monde des illusions à celui des services
Zakaria Nchange, 22 ans, ne songeait point à quitter le Cameroun pour entamer une nouvelle vie en Tunisie. Car tout le prédisposait à «une grande carrière dans le monde du ballon rond en Europe ou encore dans un pays du Golfe».
Un concitoyen lui avait fait un jour une promesse : l'aider à décrocher un contrat dans un club au Qatar ou aux Emirats arabes unis. Pour ce faire, il l'a invité à transiter par la Tunisie.
«Je suis arrivé en Tunisie, en août 2012, muni d'un visa touristique. Juste un coup de fil et puis fini pour moi les temps difficiles, telle était ma conviction. Je me suis installé dans une vieille demeure à Tunis, en colocation avec des Congolais et des Nigériens. Je devais tout supporter, en attendant le grand jour qui devait marquer un tournant capital dans ma vie. Mais ce jour n'est jamais arrivé», se désole Zaac, comme aiment l'appeler ses amis.
Le chasseur d'oiseaux rares pour les grands clubs du Golfe s'est avéré être un imposteur. Très expansif dans les débuts, le marchand de rêves ne répondait plus au téléphone, poussant Zaac à se faire une raison : «C'était clair, je me suis fait avoir par un type impitoyable. J'ai alors appelé la famille pour l'informer de ce qui m'était arrivé. Profondément bouleversée, ma mère m'a rétorqué : mais dis-moi que puis-je faire pour toi maintenant? On a tout fait pour que tu sortes du Cameroun et aller réaliser ton rêve. Reste là où tu es, on t'enverra de l'argent pour survivre, en attendant des jours meilleurs», se rappelle Zacharia, d'un ton fort touchant.
Il n'avait pas d'autre choix que la régularisation de sa situation. Il s'est alors renseigné auprès de ses colocataires congolais et nigériens qui lui ont signifié l'impératif de s'inscrire dans une école tunisienne, pour ce faire. «Je me suis inscrit dans un institut privé pour des cours de langue en septembre 2012. Toutefois, je gardais toujours l'espoir de pouvoir un jour décrocher un contrat avec un grand club, en jouant avec les communautés africaines établies en Tunisie», dit le jeune Camerounais.
En maniant parfaitement le ballon rond lors des matchs amicaux opposant des Subsahariens et des Tunisiens dans le cadre de compétitions estudiantines, Zaac suscitait souvent l'admiration des spectateurs. Un jour, il fit la connaissance d'un manager tunisien qui l'aida à partir à Dubaï, à la recherche d'une belle opportunité. Mais, une fois sur place, l'illusion était au rendez-vous.
Après des jours difficiles, il a rebroussé chemin à destination de la Tunisie, doublement attristé cette fois-ci : «La mort de ma mère qui ne m'a pas vu réaliser mon rêve me faisait énormément mal, me chagrinait. Si bien que je me suis rendu compte que j'avais fait les mêmes erreurs, car j'étais aveuglé par mon désir de devenir un footballeur professionnel».
Refusant de courber l'échine devant les épreuves d'une vie qui lui a, à maintes reprises, tourné le dos, le jeune homme a décidé de se ressaisir et tenter sa chance dans un autre domaine : celui du nettoyage. «Après tout, il n'y a pas que le football pour réussir sa vie», susurre-t-il.
Sa mère qui le soutenait par les temps difficiles n'était plus là. Avec le peu qu'il possédait et grâce au soutien de certaines de ses connaissances, Zaac s'est lancé dans le nettoyage à la glace sèche. Grâce à son labeur, à sa persévérance et à sa combativité, sa société prospère. Il emploie des Tunisiens et des Subsahariens. Il vient également d'acquérir cinq hectares dans le nord du Cameroun où il compte cultiver des fruits exotiques pour ensuite les commercialiser en Tunisie et contribuer à la dynamisation des échanges commerciaux entre les deux pays.
Difficultés et écueils
La présence des travailleurs migrants en Tunisie est en nette progression ces dernières années, passant de 35.192 personnes en 2004 à 53.490 en 2014, selon le dernier recensement général de la population et de l'habitat.
Si les Algériens, les Libyens, les Marocains, les Français et les Italiens occupent la tête du peloton, la présence des immigrés subsahariens est dans son ensemble également à la hausse. La part de la population malienne est passée de 0,6 % du total des immigrés en 2004 à 1,8% en 2014 et la population nigérienne de 0,4% à 1%. La part des autres pays africains passe de 4,8% en 2004 à 9,4% en 2014, d'après des statistiques officielles.
Les immigrés en provenance d'Afrique subsaharienne et en situation irrégulière semblent être plus nombreux depuis la Révolution du 14 janvier. Durant le premier semestre de 2017, 152 étrangers de 14 nationalités ont été accueillis. La Côte d'Ivoire vient en tête avec 64% de migrants, 6% du Sénégal, 4% du Congo, selon la Maison du droit et des migrations, relevant de Terre d'asile Tunisie.
Bien qu'ils soient sans papiers, ces immigrés sont généralement actifs dans le commerce ambulant et le secteur des services, tels que les centres d'appel, la restauration, l'hôtellerie et le nettoyage. Leur contribution à la vie économique tunisienne, si minime soit-elle, serait, à bien des égards, indéniable.
Reste qu'ils demeurent confrontés à des difficultés inhérentes à leur intégration. Si bien que les risques les plus importants sont liés au travail au noir, à savoir une exploitation, sans protection aucune. Tout autant que l'étranger résidant temporaire doit quitter la Tunisie à l'expiration de la durée de validité de sa carte de séjour, à moins qu'il n'en obtienne le renouvellement. Autrement, il est passible d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 20 à 240 dinars (7 à 80 euros), en vertu de l'article 24 de la Loi n° 1968-0007.
L'autre écueil freinant l'intégration d'un Subsaharien vivant en Tunisie est qu'il ne peut pas être travailleur salarié lors de son séjour d'études. Il lui faut une carte de séjour « autorisé à exercer un travail salarié en Tunisie ». Ce qui n'est point une sinécure. Des carences et des défaillances sont donc à pallier, compte tenu de l'importance des flux migratoires en provenance de l'espace subsaharien ces dernières années.
L'impératif d'intelligentes réformes
Face au durcissement des politiques migratoires en Tunisie, des voix n'ont cessé de s'élever, ces derniers temps, appelant les législateurs et gouvernants tunisiens à opérer des réformes allant de pair avec les standards internationaux.
Abondant dans ce sens, Romdhan Ben Amor, chargé de communication au Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), exhorte l'Etat tunisien à ratifier la convention des Nations unies de 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Dans la même optique, il plaide pour la ratification des conventions de l'Organisation internationale du travail (no 97 et no 143 sur les travailleurs migrants), afin de se conformer aux standards internationaux relatifs au respect des droits des travailleurs migrants.
«On peine souvent à aider les travailleurs migrants sans papiers qui demandent notre assistance, en raison d'une politique migratoire peu clémente. D'où la nécessité de conjuguer les efforts en vue de pallier ce genre de carences», insiste-t-il dans une déclaration à La Presse.
N'y allant pas par quatre chemins, la députée Bochra Bel Haj Hmida, présidente de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité, et Naima Hammami, secrétaire générale adjointe, chargée des relations internationales au sein de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), disent être déterminées à faire de cette question un enjeu essentiellement politique et culturel en cette Tunisie nouvelle, soucieuse du respect des droits humains, donc des libertés individuelles et collectives.
«Tout comme nous appelons au respect des droits des travailleurs migrants tunisiens évoluant dans diverses régions de la planète, nous devons garantir le respect de la dignité des étrangers qui vivent parmi nous. Toute autre lecture négligerait les leçons prodiguées par plus d'un siècle d'histoire de l'immigration», affirme la parlementaire.
Faisant état d'avancées significatives sur la voie de l'amélioration des conditions des travailleurs migrants en Tunisie, Lorena Lando, chef de mission de l'Organisation internationale pour les migrations (Bureau de Tunis), se félicite des projets lancés en partenariat avec le gouvernement tunisien et des organisations de la société civile.
De ce point de vue, elle dit avoir entamé tout un travail de sensibilisation pour lutter contre les multiples formes de maltraitance au travail, à savoir, «agression et violence, salaires impayés, documents personnels confisqués et injustice s'agissant de rémunération».
Pour Mme Lando, l'Afrique est en marche, elle a les moyens de garantir une vie digne à tous ses enfants à condition d'initier une gouvernance mieux adaptée aux spécificités sociales et culturelles de cette région du monde. Ici, elle rejoint le Camerounais Georges Patrick qui l'a si bien expliqué en disant que l'eldorado est désormais en Afrique et que les Africains ont tout à gagner en s'ouvrant les uns sur les autres.
Reportage réalisé avec le soutien d'IMS


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