Par Samira DAMI L'ouverture tant attendue de la cinémathèque tunisienne a été célébrée le 21 mars par un hommage dédié à l'actrice tuniso-italienne Claudia Cardinale. Durant la deuxième semaine de son programme, du 27 mars au 1er avril, un autre hommage a été rendu, cette fois-ci, à Sotigui Kouyaté, le grand acteur africain disparu il y a 8 ans, à l'âge de 74 ans. Huit de ses films-phares ont été programmés, dont «Keita, l'héritage du griot», réalisé par son fils Dami Kouyaté, «Little Sénégal» de l'Algérien Rachid Bouchareb, «La genèse» de Cheikh Oumar Sissoko et autres. Acteur, comédien et metteur en scène de théâtre, Sotigui Kouyaté n'a pas fait d'école de théâtre. «Il est passé, comme il l'a dit, par la grande école de la rue, de la vie». Guinéen d'origine, Malien de naissance et Burkinabé d'adoption, Sotigui est né dans une famille de griots, les Kouyaté qui sont des passeurs de tradition orale à travers le conte et le chant. Les griots racontent et chantent mythes, légendes et épopées du temps passé. Il n'est pas étonnant, donc, qu'on retrouve Sotigui sur les planches de théâtre et sur les plateaux de cinéma en tant qu'interprète de personnages phares de films et de pièces de théâtre. Il a ainsi joué dans une vingtaine de longs métrages africains et européens et dans neuf pièces pour la plupart mises en scène par le grand écrivain, comédien et metteur en scène britannique, Peter Brook, dont «MaHâbHârata» (1985) qui a été adaptée à l'écran (1988) et avec laquelle il entama son parcours sur les planches. Suivirent «La tempête» (1990), «Qui est là?» (1996) «Hamlet» (2000), «Tierno Boka» (2004) et autres. Sotigui Kouyaté a mis en scène deux pièces de théâtre «Antigone» de Sophocle avec le théâtre Mandéka de Bamako (1998) et «Le Pont» de Laurent Van Wetter au théâtre de Nanterre (2003). Et c'est le riche parcours de notre griot qui a été reflété dans la séance inaugurale du cycle de films rendant hommage à l'acteur. Cycle entamé par le court métrage «Errance» de Nouri Bouzid et le long métrage «London River» de Rachid Bouchareb. C'était mardi dernier à la salle Taher Cheriaâ : devant un public de cinéphiles et de professionnels, Mohamed Challouf, directeur artistique de la cinémathèque, qui a bien connu l'homme et l'artiste, a évoqué des moments du parcours de Sotigui Kouyaté, considéré comme l'un des plus grands acteurs africains contemporains, cela tout en insistant sur ses multiples facettes, entre acteur et griot dépositaire de la tradition orale et d'une certaine sagesse africaine. Puis de présenter, parmi les invités venus assister à l'hommage, les enfants de Sotigui, sa fille Yaguaré et son fils Mabô. Très émus, ils ont chacun lu des textes rapportant des propos ruisselant de sagesse de leur géniteur. Etait, également, présent dans la salle, le critique de cinéma et président de la fédération africaine de la critique cinématographique Baba Diop, lequel a réalisé plusieurs entretiens avec l'acteur. Il a évoqué certains de ses propos célèbres, du genre : «Je ne suis pas un sage, je ne suis que l'enveloppe de la sagesse». Puis de se focaliser sur ses qualités d'acteur, affirmant «que Sotigui Kouyaté a su insuffler aux divers personnages qu'ils a incarnés une grande humanité, suscitant par là émotion chez le public». Emotion que l'on a ressentie dans l'une des dernières scènes de «London River». Tant cet opus est demeuré d'une actualité brûlante car se focalisant sur les attentats terroristes qui ont frappé le cœur de Londres en 2005. Le réalisateur Rachid Bouchareb y dénonce d'une manière à la fois simple et touchante l'absurdité de la violence qui frappe aveuglément tout le monde sans distinction d'origine, de nationalité, de culture, de religion ou autres. Que l'on soit blanc, noir, chrétien, musulman, arabe, africain ou européen, la violence ratisse large, n'épargne personne, semant la mort, le malheur et la souffrance. Par petites touches, Bouchareb balaye les stéréotypes, les peurs et les préjugés avec pudeur et sensibilité. Car les personnages principaux, Ousmane (Sotigui Kouyaté) et Elisabeth Sommers (Brenda Blethyn) sont si différents : il est Français d'origine africaine, elle est Anglaise, il est musulman, elle est chrétienne, il est sage, elle est nerveuse et conservatrice... Mais tous deux sont unis par le malheur et liés par le destin de leurs enfants disparus après les attentats de Londres et qu'ils recherchent jour et nuit. Au fil de leur recherche, ils s'acceptent et se rapprocheront. C'est dans ce drame touchant, le réalisateur plaide l'ouverture, la tolérance, l'acceptation de l'autre et la communication. En fusionnant réalité quotidienne, éléments documentaires et fiction, Rachid Bouchareb réussit une œuvre marquante qui rappelle à plusieurs égards le cinéma socio-réaliste du réalisateur britannique Ken Loach. Sotigui Kouyaté apporte à ce film humain et émouvant toute sa sagesse de griot africain, ce rôle lui a valu l'Ours d'argent de la Berlinale 2009. Tandis que, de son côté, Brenda Blethyn a sorti un jeu magistral. Dans «Errance», ce court-métrage de Nouri Bouzid, Sotigui Kouyaté pourfend avec ses propos dégoulinant de sens les frontières, les préjugés et l'ordre établi. «Je suis partout chez moi en Afrique : la vérité est multiple, dis-je, il y a ma vérité, ta vérité et la vérité». Tout le film vaut ces fragments de sagesse ancestrale. Et Dieu seul sait si par les temps qui courent le monde a besoin de sens, de sérénité et de sagesse!