Le rôle des pères est crucial au cours des premières années du développement de l'enfant. La paternité renvoie à la qualité de père et au sentiment paternel. Le concept de paternité positive très tendance en Europe et Outre-Atlantique vise l'amélioration de cette fonction de père au sein de la famille. Les expressions qui idéalisent la fonction paternelle pullulent : « Papa poule, super papa... ». Autant de superlatifs à la gloire de pères qui comblent de bonheur leur progéniture au-delà de nos frontières. Une tendance qui tarde encore à faire son chemin en Tunisie pour de nombreuses raisons. Un projet de loi sur le rallongement du congé de paternité qui consacre un repos spécial au profit du père lors de l'arrivée d'un nouveau-né a été élaboré afin d'encourager une participation plus active du papa au cours des premières années de vie de son enfant. C'est le ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance qui est à l'origine de cette initiative placée sous le signe de la "Paternité positive" et qui accorde une grande importance au rôle des pères dans le développement de leurs enfants en Tunisie. Ce programme a été mis en œuvre en partenariat avec l'Unicef et les ambassades de Finlande et de Suède en Tunisie. Dans quelle mesure le père peut-il contribuer à l'épanouissement et l'équilibre de la famille ? La place et le rôle du père dans la société patriarcale tunisienne peuvent-ils permettre le succès du congé de paternité qui devrait normalement passer à quinze jours ? Répartition des rôles Dans un entretien avec La Presse, M. Sami Nasr, sociologue, a décrypté la configuration actuelle de la famille tunisienne et rôle que joue le père dans la croissance de ses enfants. « Le projet de loi en faveur de l'adoption de l'allongement du congé de paternité devrait aboutir malgré le retard qui a été pris dans sa concrétisation». Accorder un congé de paternité aux pères s'avère d'autant plus nécessaire que le partage des rôles à l'arrivée d'un nouveau-né demeure encore inégal entre le père et la mère qui s'investit davantage au cours des premières années de vie et de développement de l'enfant. « Il y a une nouvelle mentalité autour du partage des rôles qui doit plus migrer vers l'entraide, a relevé Sami Nasr. Les choses doivent évoluer. Il n'y a plus une tâche pour la mère et une autre pour le père. Ce modèle dépassé ne doit plus avoir cours aujourd'hui». L'éducation participative implique une meilleure prise en charge et une bonne occupation des enfants à la maison. Que ce soit sur le plan alimentaire, de l'hygiène, des devoirs scolaires ou des jeux. L'entraide est la voie la plus juste étant donné qu'il y a une double éducation à donner à la maison et en dehors. Au final, la mère travaille autant que le père, voire plus. A l'intérieur du domicile familial, le père ne doit pas être épargné au détriment de la mère, a relevé le sociologue. Dislocation de la famille Promouvoir le rôle du père au cours des premières années de vie de l'enfant devient indispensable afin d'éviter le déséquilibre au niveau de la répartition des rôles M. Nasr poursuit le raisonnement : « Le père et la mère qui partent au travail tôt chaque matin après avoir accompagné leurs enfants au jardin d'enfants ou à l'école les retrouvent le soir après une longue journée de travail. Ils ne trouvent pas suffisamment de temps pour communiquer avec eux. Les enfants sont souvent désemparés face à des parents qui, après une longue journée de travail, ne trouvent ni force ni énergie pour communiquer et passer du temps avec eux. On a pu observer que le taux de suicide infantile selon les statistiques du Forum tunisien des droits économique et sociaux est élevé. L'école n'est pas exempte de tout reproche mais la clé de voûte est une bonne communication interparentale et parents- enfants ne doit pas être dissipée par l'usage excessif d'internet ou les réseaux sociaux. Si l'enfant ne trouve pas à qui parler dans la maison ou dans son entourage, il va se tourner vers la rue et les personnes étrangères » Le nombre de suicides depuis la révolution à nos jours est de dix-neuf tentatives par mois, enfants et adultes confondus. Pour un suicide concrétisé, on recense une vingtaine d'échecs. Un total de quatre cents par mois. Pour autant, le rôle des organisations non gouvernementales et de la société civile à travers les actions de sensibilisation n'est plus à démontrer avec une prépondérance sur la simple application de la loi. Le poids culturel et traditionnel fixe le rapport du père avec sa femme et ses enfants. Un facteur sous-jacent important également concerne la sensibilisation qui donne de biens meilleurs résultats que la révision ou l'adoption de la loi. Les chiffres du Ftdes se rapprochent de ceux du ministère de l'Intérieur. Si le suicide de l'adulte est motivé par des causes économiques, sociales, et de pauvreté, celui de l'enfant tire son origine de l'absence de communication, du faible processus d'appréciation des valeurs morales ou l'abandon scolaire. Pour autant, il s'agit d'une question de mentalité. De nombreux pères interrogés considèrent que le fait de changer les couches et préparer les repas de leur nouveau-né est une atteinte à leur virilité. Ils jugent que c'est à la maman que doit incomber ce rôle et ne voient, par conséquent, pas l'utilité de rallonger le congé de paternité. «Je ne vois pas l'utilité de rester à la maison dès lors que ce n'est pas moi qui allaite notre bébé mais ma femme. Je ne vois pas comment je pourrais l'aider !», témoigne le jeune papa d'un nouveau-né et dont l'épouse est femme au foyer. Il faudra peut-être des lustres pour que cette mentalité évolue sous nos cieux et que l'expérience suédoise et tunisienne en matière de paternité positive devienne un modèle pour les pères tunisiens.