Par Hella Lahbib «La relation que j'ai avec dieu ne doit pas être conditionnée par une tenue vestimentaire ou autre chose. Je suis tout le temps en connexion avec dieu et prie à ma manière. J'essaye de lui prouver mon amour en aimant ses créatures». Aziza Mzoughi, quarante ans, célibataire, niveau bac, troisième dans l'ordre d'une famille de quatre filles. Son parcours est atypique. Disciplinée, bienveillante envers ses camarades, aimée de ses professeurs, très bonne élève, 14 de moyenne au cours de l'année du baccalauréat. Elle est, à la surprise générale, ajournée à la session de contrôle. Déçue, choquée même, Aziza refuse de passer les épreuves de rattrapage, encore moins de refaire l'année. Elle rend des copies blanches. Dans sa tête, elle était déjà ailleurs. Elle qui trace, se fixe des objectifs et des deadlines, refaire le bac c'est prendre du retard par rapport à un programme arrêté. C'était la fin des années 90. Aziza est pressée. Issue d'une famille modeste, le père avait été emporté en six mois par une maladie foudroyante, alors qu'elle n'avait que quatorze ans, son absence la marquera toujours. La mère, source de bonheur et de stabilité émotionnelle, travaillera en cachette sans rien dire à ses filles. Toutes les sœurs, dotées d'un sens de responsabilité développé, travailleront de leur côté pour participer aux frais de la maison. Aziza s'engagera comme vendeuse estivale. Elle commence chez une marque connue de vêtement pour homme. Elle savait d'avance que ce job n'est qu'un tremplin, cela ne l'empêchera pas pour autant de bien le faire. Au bout de six mois, elle est remarquée par sa manière de vendre, d'approcher les clients. Pendant la pause-déjeuner Aziza allait se documenter sur internet dans les publinets sur les compositions des tissus. «Pour pouvoir bien conseiller les clients sur l'entretien de l'article». Portée par le challenge Jusqu'à ce qu'un de ses managers, le cofondateur, la remarque, lui fait suivre une formation de merchandising, d'étalagiste et textile-texture. Elle devient conseillère de vente. Au bout de trois ans, elle est promue directrice de magasin, ensuite directrice pôle. «L'intuition me disait qu'étant donné mon background académique limité, il fallait que j'essaye tout en redoublant d'efforts». Mais Aziza a une autre particularité, dès qu'elle est dans sa zone de confort, elle s'ennuie et s'en va voir ailleurs. «Je suis portée par le challenge». En 2002, elle intègre un centre d'appel. Au bout d'un an, on lui propose le poste de responsable d'équipe. «Je suis très reconnaissante à Nejla Bousselmi, la DRH qui m'a parrainée en m'apprenant le métier des ressources humaines. Depuis, c'est le lancement». Elle passe par différentes multinationales et non des moindres. A chaque fois elle est débauchée par une autre entreprise et un autre challenge se propose à elle et à chaque fois elle le relève avec brio. Petit à petit, la jeune fille sans le bac a gravi les échelons des grandes sociétés célèbres et puissantes, internationalement connues. En 2009, elle est nommée Responsable recrutement, ensuite devenue directrice RH du site avec des équipes à l'étranger à gérer. Avec Aziza, une success-story suit l'autre. Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, la jeune femme renforce son profil professionnel à travers des formations multiples et variées. Elle est certifiée en hypnose, certifiée en coaching, elle a suivi des formations en anglais. Actuellement, elle suit une formation en thérapie énergétique. «J'avais quelques traumatismes, je voulais tester des pratiques en dehors des solutions chimiques. J'ai découvert tout le bien-être que les séances d'hypnose peuvent apporter et je voulais les proposer aux autres sans rémunération». Aziza avait subi à l'âge de cinq ans deux tentatives de viol avec violence, elle a perdu son père subitement, alors qu'elle avait une relation privilégiée avec lui. Elle avait été marginalisée enfant et en avait souffert. Elle a eu des déceptions amoureuses et amicales. Et pour finir, elle se trouve différente ; «j'ai des valeurs de l'ancienne époque. Je me sens parachutée dans ce monde. Je ne me sens pas intégrée dans la société tunisienne». «Pourquoi ?» «Une des choses qui me dérange c'est l'hypocrisie. Ces femmes qui se la jouent libérales, modernes, au fond, il n'en est rien. J'ai rencontré des artisanes, des femmes rurales qui me paraissent plus avant-gardistes que celles qui sont soi-disant femmes open-mind. Rien que mon célibat à quarante ans leur pose problème. Certaines ne cessent de me le rappeler». «Je n'aime pas les hommes superficiels» «Justement, les enfants ne te manquent pas ?» «Pourquoi conditionner la maternité par le mariage, se révolte-t-elle un peu, j'aurais pu me marier et être stérile, ou mon mari, qu'est-ce qu'on ferait ? On divorcerait comme le font certains couples. Il y a toujours l'option de l'adoption. On continue à vivre ensemble, si on s'aime et on adopte des enfants. Des orphelins ont besoin d'être aimés et adoptés». Cela fait partie de ses rêves d'enfance que d'adopter des enfants, même si elle aura les siens. «Et avec les hommes comment ça se passe ?» «J'ai un problème avec les hommes tunisiens, au début ils se comportent correctement, semblent être sous le charme. Après survient le complexe de domination. Ils ont tendance à considérer la femme comme un acquis». Aziza est très indépendante. Il faut dire aussi que le profil d'homme qu'elle cherche ne semble pas courir les rues : «Je ne veux pas d'un partenaire pour la forme. Soit la personne m'apporte une valeur ajoutée, sinon ce n'est pas la peine. Un homme ne peut m'impressionner que lorsqu'il est fort mentalement, il est profond. Un homme ne pourra jamais m'impressionner par la marque de sa voiture, par le poste qu'il occupe, par son physique. Je n'aime pas les hommes superficiels. J'ai besoin d'avoir une conversation avec un homme. Je dois savoir ce que porte cet homme comme valeurs humaines envers les autres, envers les animaux, l'environnement, la nature. Que peut-il faire pour aider les autres ? Quelle est sa mission dans la vie ? Ou bien se contenterait-il de se marier, faire des enfants et mourir après». Forte de caractère, volontaire et de l'énergie à en revendre, Aziza, qui fond devant un chat, un enfant, un regard triste, une personne âgée, face à la misère humaine entretient une relation forte et particulière avec Dieu. Une relation spirituelle. «La relation que j'ai avec Dieu ne doit pas être conditionnée par une tenue vestimentaire ou autre chose. Je suis tout le temps en connexion avec Dieu et prie à ma manière. J'essaye de lui prouver mon amour en aimant ses créatures». «La médiocrité est diffusée sur nos écrans» Si Aziza ne se sent pas intégrée, elle aime en revanche son pays et rêve de le retrouver : «Le pays est sale, la violence est répandue, l'insolence nous cerne de partout. Les gens ne travaillent pas, nous souffrons d'une crise de valeurs. Si les programmes de l'éducation nationale sont médiocres, la médiocrité est également dans nos maisons, aujourd'hui elle est diffusée sur les écrans. Je boycotte la télé. J'ai trop peur pour l'avenir des enfants. Je me sens comme immigrée dans mon pays, pour me ressourcer je voyage à l'étranger où je me sens beaucoup plus valorisée». Dans ce regard sans concessions qu'elle porte sur la société, Aziza pointe d'abord la responsabilité des parents : «J'en veux beaucoup aux parents, la maman essentiellement. Ces parents qui vont insulter les professeurs devant leurs enfants, les humilier et les dévaloriser. Ces pères et mères qui insultent les autres conducteurs en proférant des grossièretés devant leurs enfants. Je coache des enfants et des adolescents. Ce qu'ils racontent sur le comportement de leurs parents me fait mal. Nous sommes en train de faire des enfants ratés». Aziza, femme moderne et libre, pense que certaines valeurs restent les mêmes, inébranlables à travers les siècles et les sociétés : «Comme le respect qu'on doit cultiver à l'endroit du professeur, du père, de la mère, de la grand-mère, de la personne âgée, de la personne invalide, de la femme enceinte, de l'animal. C'est cela notre identité qu'il faut retrouver et réhabiliter». Elle pointe une autre faille structurelle de l'éducation : «Malgré tout l'amour que peuvent nous donner nos parents, on ne nous a pas appris à nous aimer, qui dit s'aimer dit savoir se protéger, connaître ses propres limites, ses désirs, savoir poser des limites aux autres». «Elle qui voyage beaucoup, quel est le pays où elle se sent le plus dans son élément ?» «La Hollande. Je retrouve en eux tout ce que je cherche, le respect de l'autre, l'ouverture de l'esprit, l'amour énorme et inconditionnel des animaux et de l'environnement. Tout est beau, tout est bon, la qualité des services, le niveau des conversations». Aziza aime lire Jabran Khalil Jabran et Marc Levy. Elle rêve de devenir conférencière internationale en bien-être et résolution des problèmes internes. A long terme, elle voudrait se mettre à l'écriture pour aider les autres. Quand elle regarde derrière elle, que de chemin parcouru. La presque autodidacte est très fière de son parcours professionnel mais aussi personnel, elle a bien raison. Dernier mot de cette belle et généreuse personne : «Je ne désespère jamais de l'être humain».