Les sociétés arabes sont en ébullition, des repères se perdent, d'autres font leur apparition. Les équilibres sont précaires. Un état transitoire qui implique des questionnements de tout ordre, qui interpelle l'autre forcément et se répercute sur les supports artistiques. Le Festival international du cinéma méditerranéen de Tunisie « Manarat » se poursuit jusqu'au 15 juillet à travers des projections et tables rondes. Une de ces rencontres a eu lieu jeudi dans la matinée, à La Marsa. Un panel appelé à débattre sur la «Vitalité du cinéma de la rive sud de la Méditerranée ». Face à un public averti et en présence de Dorra Bouchoucha, directrice artistique du Festival et de Sophie Renaud, directrice de l'Institut français, la rencontre a eu du mal à démarrer. En cause, des problèmes sérieux liés à la sonorisation, les intervenants ont peiné à se faire entendre sans micro. Une fois les détails techniques maîtrisés, le coup d'envoi est donné par le modérateur Tarek Ben Chaâbane. Scénariste et universitaire, il enseigne la sociologie des médias et du cinéma. Cette rencontre a vu la participation de professionnels, notamment du cinéma français : Charles Tesson, critique et historien du cinéma, spécialiste du cinéma asiatique, enseigne l'histoire et l'esthétique du cinéma à l'université. Nabil Ayouche, réalisateur et producteur franco-marocain. Il a réalisé plusieurs longs métrages entre autres « Much Loved ». Jacques Fieshi, un des grands scénaristes du cinéma d'auteur français. Il forme également de jeunes auteurs d'Afrique dans des ateliers d'écriture. Christophe Leparc est secrétaire général de la quinzaine des réalisateurs, section parallèle du Festival de Cannes. Il est directeur du Cinemed, Festival du cinéma Méditerranée de Montpelier. Pas de formule ni de recette La présence de plus en plus remarquée des films du Sud de la Méditerranée (égyptien, libanais, tunisien, marocain), aussi bien dans les grands festivals internationaux que sur les écrans, laisse penser qu'un vent nouveau souffle sur ces cinématographies. « Nous souhaitons comprendre, précise Tarek Ben Chaâbane à notre journal, quelles sont les raisons réelles qui sont derrière cet enjouement pour le cinéma du Sud. Est-ce que les singularités très fortes en train de s'exprimer qui en sont à l'origine ? Ce serait un fait positif à noter. Ou alors le cinéma en tant qu'écriture dramaturgique est en train de s'approcher du modèle plus ou moins canonique d'écriture et de filmage ? Ou alors, troisième option, c'est l'attirance des thèmes. Les révolutions en libérant les paroles ont donné un nouveau souffle au cinéma». Cette troisième option pourrait l'emporter sur les autres, selon notre interlocuteur. Les sociétés arabes sont en ébullition, des repères se perdent, d'autres font leur apparition. Les équilibres sont précaires. Un état transitoire qui implique des questionnements de tout ordre, qui interpelle l'autre forcément et se répercute sur les supports artistiques et sur un cinéma traversé par un air frais, vivifiant, dissident, décalé, peut-être. Un réservoir de sujets authentiques qui touchent de près la société tunisienne et l'individu s'offre généreusement aux curieux. Une des idées qui se dégage d'une discussion à bâtons rompus apporte toutefois une nuance majeure à ce qui a été présenté comme postulat de base. En effet, les films du Sud parviennent de plus en plus à se placer, mais beaucoup moins que le cinéma latino-américain par exemple. En provenance de l'Argentine et du Brésil, les films se comptent par dizaines sur les plateformes internationales, fait remarquer Charles Tesson. Image éculée Jacques Fieshi n'est pas à la recherche, pour sa part, d'une formule ou d'une recette, mais d'un cinéma qui interpelle, plaît et étonne. En outre, les films du Sud, contrairement au passé, sont de plus en plus aboutis, finalisés, conformes à une « qualité internationale ». Ce qui expliquerait l'accueil plus ou moins positif qui leur est réservé ces dernières années. Tarek Ben Chaâbane a fait valoir le décalage entre les niveaux de perception et d'accueil des films locaux ici à Tunis et à l'étranger. Les propositions cinématographiques qui font recette auprès du public tunisien ne sont pas forcément celles favorablement accueillies et parfois primées à l'étranger. Il reste la question lancinante de savoir si l'apport des fonds étrangers ou d'un cinéaste imposé ou d'une quelconque aide à la production fausse-t-il les enjeux ? En privilégiant des thématiques plus que d'autres, en reprenant des clichés bien connus et en reproduisant une image stéréotypée qui plaît ailleurs, mais est forcément éculée ici ou mal perçue parce que approximative. A cette question éperdue qui interroge l'identitaire ; « Comment rester soi-même ? ». Pas de réponse franche et élaborée, ou alors elle a été amenée de manière très discrète, imperceptible au cours du débat. Or, cette question même ne devra pas, in fine, être adressée aux partenaires d'outre-mer, mais davantage aux artistes locaux, cinéastes et producteurs. Comment effectivement rester soi-même, défendre son regard, sa propre approche tout en percevant des aides ? Après tout !