Les temps sont durs. Abdelaziz Mehrezi, cet artiste discret et comédien chevronné, le dit avec ses mots dans «Ichhad ya layem», un monodrame cruel de vérité. Il nous parle aussi de ses débuts, de sa carrière et livre quelques conseils aux jeunes qui se lancent dans le théâtre: ceux, bien sûr, qui veulent écouter. Parlez-nous de votre nouvelle pièce ! Elle a été déjà présentée dans le festival international du monodrame de Carthage le 3 mai, à la Cité de la culture. J'en suis à ma deuxième représentation à «Layali El Abdelya». Dans cette œuvre, il y a un côté audacieux qui s'y est exprimé. J'ai considéré que les enjeux sont importants et qu'il faut dire les choses comme elles sont. Je passe en revue les événements tout au long de ces sept années de la révolution. Je parle de tout le monde sans nommer personne. J'ai préféré placer mon propos sur le mode de l'insinuation, mais tout le monde comprendra de qui je parle et qui je vise. C'est un choix. Outre le fait que je ne veux offenser personne, je n'aime pas le discours direct. Certes, certains se sentiraient blessés ou visés mais personne ne peut dire qu'il y a diffamation. C'est une critique dénuée de toute violence verbale. Parlez-nous de votre parcours... J'ai cinquante et un ans de carrière. J'ai été recruté en 1969 par feu Aly Ben Ayed et commencé avec la troupe de la ville de Tunis. C'est à partir de là que j'ai entamé ma carrière de professionnel. J'ai eu le premier rôle dans le premier feuilleton tunisien en 1979, «Ayem fi hayati», par la suite j'ai joué dans «Amina», «Habouni we delalt», «Saïd errim». Certains titres ont marqué l'histoire de la fiction tunisienne... Notamment «Saïd errim», je suis très fier de mon rôle. Jai joué le personnage du père de la fille qui a été trahie par son patron. Je vendais du thé à la station Moncef Bey. Je considère que je suis comblé. Mais comme dans tout parcours, il y a eu des moments d'extase, d'euphorie, de joie et d'autres de peine, presque de détresse. Je dois dire par ailleurs qu'il y a eu deux dates importantes. A l'âge de 25 ans, j'ai eu l'honneur d'ouvrir le festival International de Carthage avec la pièce de théâtre «La savetière prodigieuse» de Federico Garcia Lorca. J'étais le plus jeune metteur en scène à avoir eu l'honneur d'assurer la soirée d'ouverture. J'avais été cautionné par feu Mahmoud El Messaidi qui avait misé sur moi. Cela a plus ou moins marché. Et, en 2015, pour le même festival, j'ai présenté la pièce «Dhalamouni Habaybi» qui rend hommage à la grande chanteuse Feu Oulaya. Aujourd'hui avec «Témoignez ô jours», est-ce une consécration ou une nouvelle station ? Peut-être que c'est un adieu. Je ne sais pas. J'ai ce pressentiment. Je le dis sans peine. A 70 ans, on ne peut pas aspirer à avoir une deuxième vie. Il faut prendre la vie telle qu'elle est. Le plus important c'est d'avoir contribué à l'action théâtrale de mon pays. Avec tout ce que j'ai pu faire de bon et de mauvais. J'ai laissé une trace, et suscité autour de moi l'amour et le respect. J'en suis heureux, fier et en remercie Dieu. C'est un capital important même dans l'au-delà. Quel est votre avis sur la vie culturelle et sur la production artistique ? Nous sommes à la croisée des chemins, il y a de bonnes choses qui sont faites et d'autres beaucoup moins. Nous vivons dans un état second, presque de transe, on ne sait pas où on va. Pour ma part, j'ai toujours encouragé et formé des jeunes. Mais je n'arrête pas de leur dire qu'il faut avoir du souffle et de la patience. Le théâtre est un art difficile, alors que certains le prennent à la légère. Avec deux anecdotes, trois blagues, il monte sur scène et prétend faire du théâtre. Ça ne peut pas marcher comme ça. D'autant que cela influe négativement sur le goût général. Il faut travailler encore et encore. Je vois des jeunes à leurs débuts qui s'improvisent auteurs et metteurs en scène, ce sont plutôt des faiseurs de spectacles. Qu'avez-vous envie de leur dire ? Il faut travailler et apprendre. C'est un métier qui s'apprend. Moi, j'ai été initié par Hamda Tijani, Simlali, Noureddine Kasbaoui, Mouna Noureddine, Wafa Salem, Aly Ben Ayed, bien sûr. Il faut apprendre à écouter. Celui qui ne sait pas écouter, ne saura pas parler. En plus, il faut apprendre le métier des anciens. Et c'est vrai pour tous les métiers. Malheureusement, nombreux sont ceux qui sont tombés dans la facilité. Il est vrai que tout le monde veut gagner son pain. Mais le pain a une saveur. L'art est une proposition qu'on présente aux gens. On peut produire des œuvres qui plaisent ou pas. Mais on n'a pas le droit de faire n'importe quoi. Propos recueillis par