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Où sont les tortionnaires ?
Justice transitionnelle
Publié dans La Presse de Tunisie le 03 - 08 - 2018

Absents des auditions publiques de l'Instance vérité et dignité, les tortionnaires sont l'une des pièces manquantes de la justice transitionnelle. A quelques mois de la fin du travail de l'IVD, un bilan s'impose à ce sujet.
Jeune et brillant étudiant islamiste, Sami Brahem a connu l'enfer de la torture dans les quatorze prisons tunisiennes où il a été incarcéré dès le début des années 90. L'ex-président Ben Ali avait à ce moment-là durci son régime et mis en place un système des plus répressifs contre ses opposants. Huit ans durant, Sami Brahem subira les pires exactions : violences sexuelles, tabassages quotidiens, réclusion solitaire, humiliations et privations multiples. Son témoignage lors de la première séance des auditions publiques de l'Instance vérité et dignité (IVD), le 17 novembre 2016, a bouleversé beaucoup de Tunisiens.
Lui-même, serein et parfois souriant au cours de son passage public devant la l'IVD, ne peut retenir ses larmes et ses émotions lorsqu'il s'interroge à propos de ses bourreaux : « Pourquoi ont-ils fait ça ? Etaient-ils manipulés ? Cherchaient-ils une promotion ? Etaient-ils contraints à pratiquer l'horreur ? Quel est le sens d'imposer la nudité aux détenus pendant une semaine ? Quel est le sens de toutes ces violences sexuelles ? Pourquoi avoir déversé de l'éther sur mes parties génitales ? Pourquoi se sont-ils acharnés à vouloir nous démolir ? A s'acharner pour nous rendre stériles ? Ces interrogations continuent à m'assaillir. Je veux faire le deuil... ».
« Je suis prêt à leur pardonner... »
Sami Brahem, aujourd'hui chercheur en sciences humaines, spécialiste des mouvements salafistes, poursuit son poignant témoignage : « J'avais le droit de garder ma dignité en prison. Je ne veux attaquer personne devant la justice. Je veux juste savoir la vérité. Je suis prêt à pardonner à mes tortionnaires s'ils reconnaissent les faits, s'expliquent et s'excusent ».
Le lendemain, le 18 novembre 2016, les téléspectateurs des auditions publiques transmises en direct par quatre télévisions ont eu droit aux récits glaçants de Jamel Baraket et Kacem Chammakhi. Leurs frères, Fayçal Baraket et Rachid Chammakhi, sont morts, à quelques jours d'intervalle, en octobre 1991, dans le même lieu : le poste des Brigades de recherche de la garde nationale de Nabeul. Pour maquiller le décès brutal sous la torture des deux victimes, leurs rapports d'autopsie sont rapidement falsifiés par les autorités. Un témoin précieux, Besma Baliî, incarcérée dans ce poste-là à la même période que les deux opposants, a raconté lors des auditions publiques avoir assisté à l'agonie de Fayçal Baraket et de Rachid Chammakhi, que les agents exhibaient nus et ensanglantés dans les couloirs pour terroriser les autres détenus.
Les questions des internautes sur les réseaux sociaux ne tardent pas alors à envahir la Toile :
-« Mais où sont les tortionnaires ? »
-« Quand finiront-ils par venir ? »
-« Comment rétablir «toute» la vérité sur ce qui s'est passé sans la parole et les aveux des bourreaux ?
« La vérité victimaire est insuffisante »
Selon le choix des victimes, des noms de plusieurs bourreaux ont été révélés lors des auditions publiques des victimes de la dictature. Après avoir longuement pesé le pour et le contre, cette démarche suivie par la commission vérité tunisienne, à la fois courageuse et périlleuse, n'a pas été tentée par toutes les expériences de justice transitionnelle. Au Maroc, les tortionnaires sont restés anonymes jusqu'au bout du processus.
« Nous avons donné cette liberté aux victimes car leur parole a déjà subi trop de censure et de pressions par le passé », explique l'avocate Oula Ben Nejma, qui préside la Commission enquêtes et investigations à l'IVD.
Mais pour beaucoup d'internautes tunisiens, ce n'est là qu'une part infime de la vérité qui a été exprimée : le silence des tortionnaires reste pesant.
Kora Andrieu, docteur en philosophie morale et politique, officier des droits de l'homme auprès des Nations Unies, experte dans le domaine de la justice transitionnelle, estime elle aussi que la vérité doit inclure les deux perspectives, celle des victimes et celle des bourreaux, sinon ce sera « une vérité tronquée, subjective, et soumise à des critiques pour ces raisons mêmes ». Kora Andrieu insiste : « Si on ne publie qu'une vérité victimaire, non seulement on perd un pan entier de la réalité du passé que l'on cherche à « traiter », mais en plus on peut donner l'impression que les victimes sont instrumentalisées. Pour prendre l'exemple du Maroc, l'impression qui domine quand on regarde les audiences de l'Instance équité et réconciliation, c'est que les victimes ont été « utiles » au gouvernement : en témoignant, elles lui ont donné l'occasion de se refaire une légitimité, de sembler « faire quelque chose » envers elles, mais sans jamais remettre en cause le régime, sans établir les causes profondes, structurelles, institutionnelles qui ont rendu toutes ces violations possibles. Et cette histoire-là, les victimes seules ne l'ont pas toujours ».
Ils arrivent accompagnés de leurs avocats
Même si la loi tunisienne relative à la justice transitionnelle dote l'IVD de larges prérogatives , dont l'accès aux archives publiques et privées, la convocation de toute personne qu'elle estime utile d'interroger, l'instruction de toutes les violations graves, dont la torture et l'homicide volontaire et l'accès aux affaires pendantes devant les instances judiciaires, la commission vérité n'a toutefois pas la possibilité de ramener de force les tortionnaires pour témoigner publiquement. Seul en matière de crimes économiques, les dépositaires de dossiers adressés à la Commission arbitrage et conciliation de l'IVD doivent obligatoirement rendre l'argent qui leur est dû, dévoiler lors des AP la vérité sur la machine de la corruption et présenter des excuses publiques.
Mais pour Oula Ben Nejma, la présidente de la Commission enquête et investigations, le silence des tortionnaires n'est pas total, puisqu'ils répondent, à tous les niveaux de la hiérarchie, aux convocations et questions des juges de la commission vérité, qui travaillent sur l'instruction des dossiers judiciaires des rescapés de la torture.
« Ils arrivent accompagnés de leurs avocats et cherchent à se renseigner sur les charges qui pèsent contre eux », affirme Oula Ben Nejma.
Seul recours : la logique de « la carotte et du bâton »
Le juge administratif Mohamed Ayadi a démissionné de l'IVD en octobre 2015 à cause d'un « climat non propice à l'intérieur de l'Instance et à l'extérieur», avait-il déclaré, sibyllin, au moment de son départ. Il a toujours émis des doutes sur l'adhésion des tortionnaires au processus de justice transitionnelle et leur venue aussi nombreux à la commission vérité, comme déclarée par des membres de l'IVD.
« Rien ne les contraint à venir avouer leurs crimes, ni l'ambiance générale dans le pays, qui penche vers le retour en force des hommes de l'ancien système, ni l'impunité qui sévit, ni l'amnistie annoncée par la loi sur la réconciliation administrative. Les bourreaux viendront sous la pression d'une menace sérieuse. Ils viendront le jour où des dossiers d'instruction contre eux aboutis et finalisés seront transmis aux chambres spécialisées pour statuer sur les atteintes graves aux droits de l'Homme tels que définis par l'article 8 de la loi relative à la justice transitionnelle », assure Mohamed Ayadi.
Kora Andrieu ne dit pas autre chose lorsqu'elle affirme : « Pour qu'un responsable vienne en public témoigner de ses crimes passés et demander pardon à la télévision, ce qui est une forme d'humiliation, il lui faut une raison. Sauf des cas exceptionnels de responsables vraiment repentis et habités par le remords, on reste dans la logique, elle aussi très humaine, de « la carotte ou du bâton ». Donc ils le feront car ils espèrent une forme d'amnistie, qu'on appellera à tort « réconciliation ». Ou au moins un allègement de leur sentence en échange ».
Pour que naisse un Etat de droit
Arguant de leur non-réception des convocations à comparaître, les accusés des deux premiers procès des chambres spécialisées ouverts à la fin du mois de mai 2018 se sont abstenus d'assister aux audiences. Dans le cas de l'affaire Kamel Matmati, mort sous la torture et enterré secrètement par les agents de l'Etat en octobre 1991, la seconde audience du 10 juillet des CS laisse les avocats de la victime consternés : un des principaux tortionnaires, Ali Boussetta, s'est enfui en France. Deux accusés acceptent de comparaître dans le procès Barakati au Kef, autre victime de la torture meurtrière des bourreaux. Mais arrivant sans leurs avocats, la défense de la partie civile réagit contre leur interrogation par le juge : « les critères d'un procès équitable, pouvant remettre en cause toute la procédure ne sont pas réunies », protestent-ils.
Pour Najet Araari, sociologue et ancienne consultante à l'IVD, les procès des chambres spécialisées démontrent l'ampleur des crimes d'Etat, dotés de spécialistes, de locaux et construits sur un système. « Plus que sanctionner ou punir, c'est cette machine-là qu'il s'agit de démonter grâce à la révélation de la vérité et des réformes des institutions. L'Etat de droit naîtra de là », affirme-t-elle.


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