L'Instance vérité et dignité (IVD) a tenu hier une conférence de presse pour répondre aux questions des journalistes à propos des multiples polémiques soulevées dans les médias à la suite de la tenue des auditions publiques les 17 et 18 novembre. L'Instance a d'autre part annoncé la date de la prochaine audition publique : le 17 décembre prochain Lors des premières auditions publiques de l'IVD, organisées au Club Alyssa, à Sidi Dhrif, jeudi et vendredi derniers, interrogations et controverses ont envahi médias et réseaux sociaux dès les premières heures après le passage de 14 victimes à la télévision pour témoigner des exactions qu'ils ont subies. Ces questions concernent les critères de choix des victimes, la scénographie des auditions publiques, l'absence des trois présidents, l'absence des bourreaux et les chambres futures spécialisées. Lors d'une conférence de presse tenue hier au siège de l'IVD, les neuf membres de la Commission vérité se sont relayés pour répondre aux multiples questions des journalistes sur ces grandes thématiques. Après avoir rappelé la dimension fondamentale du rôle joué par les médias dans la couverture des auditions publiques et remercié les journalistes pour tout l'effort qu'ils ont fourni afin de transmettre une information professionnelle et équilibrée au public sur cet évènement, Sihem Ben Sedrine, la présidente de l'IVD, a nié catégoriquement l'instrumentalisation des victimes par l'instance pour promouvoir un parti politique donné, comme avancé dans beaucoup de médias. Elle a par la suite donné la parole aux différents commissaires pour expliquer les critères de choix des victimes de ces premiers témoignages à visage découvert. Eviter l'exposition rapide aux plateaux des médias « Loin de toute considération politique, nous avons travaillé des mois pour mettre en place les critères de choix de ces victimes dont vous avez écouté les récits poignants. Nous en avons identifié quatre. Tout d'abord, il s'agissait d'atteintes graves aux droits de l'Homme, homicide volontaire, violences sexuelles, torture et disparition forcée. D'autre part, ces cas se recrutent parmi les 18 périodes de crises des citoyens avec le pouvoir que nous avons répertoriées et qui couvrent la période encadrée par la justice transitionnelle, entre juillet 1955 et décembre 2013. Le choix de ces hommes et femmes s'est aussi conformé au critère de la parité entre les sexes et de la représentativité régionale », analyse Khaled Krichi, qui préside la commission sur l'arbitrage et la conciliation. Oula Ben Nedjma, qui dirige la Commission enquêtes et investigations, a présenté de son côté tout le travail préalable de l'IVD pour vérifier et recouper les faits concernant les témoignages de ces hommes et de ces femmes. « Après les avoir écoutés lors des auditions à huis clos, nos juges et enquêteurs ont établi toutes les preuves à leur propos. Nous savons exactement le degré des exactions exercées sur eux, le lieu et l'époque où elles se sont déroulées et les noms des responsables de ces violations. Les atteintes collectives comme celles de Barraket Essahel ou de Siliana demandent beaucoup de travail et d'investigation. Nous les aborderons quand nous aurons terminé les instructions à propos de ces dossiers ». « Ce sont des cas d'école représentatifs des horreurs commises par l'ancien régime », ajoute Ali Radhouane Ghrab, vice président de la Commission investigations. De son côté Hayet Ouertani, présidente de la Commission réparations et réhabilitation, a évoqué toute l'importance du critère : « résistance physique et psychologique à l'exposition au public de ces victimes ». Des personnes, que l'instance continue à accompagner psychologiquement et avec qui elle a établi une charte visant à éviter l'exposition trop rapide aux plateaux des médias. Pourquoi les victimes tournent-elles le dos au public ? Sihem Ben Sedrine a expliqué aux journalistes la philosophie de la scénographie des auditions publiques. « Les auditions publiques répondent à un cahier des charges spécifique. En général, les victimes font face à la Commission vérité, c'est à elle qu'ils adressent leur témoignage. Une manière en fait, de les protéger contre des réactions émises par le public pouvant les déstabiliser : un bâillement ou un autre type de geste déplacé. Eux, qui ont fait un effort surhumain pour prendre part à cet évènement. Vous avez dû remarquer, nous avons quand même pris une petite liberté avec la mise en place de la victime en l'installant légèrement en diagonale par rapport à l'assistance ». Sur les images de l'évènement diffusées par les télévisions tunisiennes, jeudi et vendredi dernier, les trois présidents se sont fait remarquer par leur absence. Plusieurs questions des journalistes ont focalisé sur cette question. Sihem Bensedrine réplique : « Les trois présidents ont répondu présent à d'autres évènements en rapport avec la justice transitionnelle. Le président du gouvernement s'est excusé lui de ne pouvoir assister aux AP étant au même moment en mission au Maroc. Je suis persuadée que les trois présidents finiront par assister aux prochaines auditions. Car notre objectif final à l'IVD consiste à faire du processus de la justice transitionnelle une matière à consensus entre tous les Tunisiens, de tous bords politiques confondus. Car c'est grâce à ce processus qu'une nouvelle confiance en l'Etat et en ses institutions verra enfin le jour !». Où sont les tortionnaires ? Parmi les interrogations des internautes le soir des premières auditions publiques reprises par les journalistes lors de la conférence de presse d'hier : « comment établir la vérité sur la machine de la répression et garantir le non-retour des atteintes méthodiques aux droits de l'Homme, telle la torture, sans les aveux des bourreaux ? ». Les membres de l'IVD ont expliqué qu'à part les cas de malversations économiques, où les dépositaires de dossiers intéressant la commission d'arbitrage et de conciliation sont obligés par la loi de présenter leurs excuses et leurs aveux publics, le témoignage des responsables de violations des droits de l'Homme reste volontaire. « Cela pourrait vous étonner : beaucoup de tortionnaires, à différents niveaux de la chaîne de commandement, sont venus nous voir à l'IVD. Ils ont été écoutés par les juges qui travaillent avec nous et ont reconnu les faits. Nous sommes convaincus que l'année 2017, celle dédiée par excellence aux auditions publiques, sera consacrée à la révélation de toute la vérité sur les crimes de système. Elle sera aussi celle de la réconciliation », affirme la présidente de la commission vérité. Bientôt un institut national de la mémoire pour ne pas oublier A propos des chambres spécialisées, le commissaire Mohamed Ben Salem a spécifié que c'est l'IVD qui transmet à cette juridiction spéciale les dossiers relatifs à des violations graves aux droits de l'Homme déjà instruits par les juges et avocats de l'IVD. « Les neuf chambres spécialisées commenceront à fonctionner en janvier prochain, le temps que leurs juges suivent une formation en justice transitionnelle. Les procès des martyrs de la révolution seront retirés, selon la loi sur la JT, aux tribunaux militaires et transmis aux chambres spécialisées », affirme Mohamed Ben Salem, président de la Commission d'examen fonctionnel et de réforme des institutions. L'IVD réfléchit actuellement à un lieu convenant à l'édification d'un institut national de la mémoire pour préserver et archiver ce musée des horreurs dont le public tunisien a eu droit à un échantillon la semaine passée. La prochaine audition publique a été fixée au 17 décembre prochain, date du déclenchement de la révolution. Moment, qui a rendu possible le processus de justice transitionnelle et de redevabilité du présent par rapport à un passé lourd en zones d'ombre.