Par Moez Labidi (*) Avec douze heures de retard pour un vol Tunisair express de Tunis-Djerba, la symphonie de la mauvaise gouvernance des entreprises publiques joue sa dernière partition. Les exemples ne manquent pas depuis trois ans. Comment un fleuron de l'économie tunisienne peut-il devenir un colosse aux pieds d'argile?! Peut-on engager une dynamique de réforme dans des entreprises publiques étouffées par la mauvaise gouvernance et minées par la fièvre revendicative et les «architectes» des lignes rouges ?! Le syndicat n'est pas le seul responsable, il y a aussi la mainmise de l'Etat sur une compagnie opérant dans le secteur concurrentiel et son corollaire de mauvaise gouvernance : des nominations politiques à la tête de la direction, des recrutements qui ne sont pas basés sur la compétence et souvent en dépassant largement les besoins de la boîte. Mais lorsque l'heure des réformes a sonné, les barricades syndicales ont été érigées pour dénigrer tout projet de réforme sérieuse. La situation de Tunisair nous ramène à la problématique des réformes des entreprises publiques. Comment réussir des réformes dans une économie déformée ? Tant que les lobbies du formel et de l'informel dictent leurs lois dans l'économie. Tant que la centrale syndicale continue de bloquer tout processus de réforme en profondeur dans les entreprises publiques en brandissant, le plus souvent à tort, la menace de la privatisation et ses collatéraux en termes de licenciement. Et tant que le virus de la main tremblante affecte les décideurs, la situation des entreprises publiques restera menaçante aussi bien pour les équilibres macroéconomiques que pour la qualité de la vie du citoyen tunisien (insécurité, détérioration du pouvoir d'achat, ...) Aujourd'hui, la Tunisie souffre de son impossibilité de se réformer : parce que les forces de blocage sont devenues de plus en plus structurées, parce que l'impunité est devenue la règle et que la sanction est l'exception. Bref, parce que les décideurs sont incapables de gérer la contrainte sociale avec un capital-confiance en érosion permanente. Comment peut-on inverser la tendance et remettre la Tunisie sur le sentier d'une véritable dynamique de réforme ? Nous ne pourrons aller plus loin si nous ne sommes pas en mesure de répondre à la question centrale : quelle Tunisie allons-nous laisser aux générations futures ? Nous ne voulons pas d'un gouvernement qui a peur de la rue, mais plutôt un gouvernement qui a le courage d'engager les réformes les plus audacieuses quels que soient leurs effets collatéraux sur les prochaines élections. La Tunisie nouvelle ne se construit pas par une main tremblante, mais plutôt par l'audace et la détermination politique. Elle se construit par un gouvernement qui ose remettre le tablier s'il est contraint de rester dans les mesures cosmétiques et non par un gouvernement qui s'accroche au pouvoir malgré un bilan sans saveur. La Tunisie de demain ne se construit pas par un syndicalisme qui se présente en défenseur de l'emploi et qui retarde tout projet de réforme sérieuse dans un système éducatif producteur de chômeurs diplômés. La Tunisie de demain ne se construit pas par un syndicalisme qui se présente comme défenseur du pouvoir d'achat des salariés et qu'en même temps il bloque les réformes dans les entreprises publiques de transport, privant ainsi le citoyen tunisien d'un transport public de qualité pour le forcer à galérer avec le transport privé (taxis) domestique, ou à acheter une voiture, ou de recourir aux compagnies étrangères pour le transport aérien. Au total, une perte de pouvoir d'achat. L'histoire nous enseigne que toutes les réformes sérieuses creusent le déficit de popularité des gouvernements. De ce fait, la classe politique tunisienne ne mérite pas son impopularité puisqu'elle est impopulaire sans oser faire des réformes en profondeur dans le secteur public (entreprises publiques, santé, éducation, transport, ..).