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«Des courants politiques réfutent l'esprit moderniste de la réforme de l'éducation»
Entretien avec le ministre de l'Education, Néji Jalloul

Il vient de l'extrême gauche, il a fait partie de la génération fondatrice d'El Watad et il est syndicaliste dans l'âme. Pourtant, il est dans le viseur des syndicalistes depuis son arrivée au gouvernement en 2014. Le ministre de l'Education traverse une période conflictuelle difficile avec les syndicats de l'enseignement de base et du secondaire. Ils revendiquent bec et ongles son limogeage non pas parce qu'il n'a pas satisfait toutes leurs revendications sociales et professionnelles, mais parce que son franc-parler les agace : « Il est humiliant », disent d'une même voix Lassaâd Yaacoubi et Mastouri Gammoudi. Le chef du gouvernement ne cède, a priori, pas. Mais jusqu'à quand, d'autant que le récent limogeage de l'autre syndicaliste, l'ancien ministre de la Fonction publique Abid Briki, par Youssef Chahed a remis le portefeuille de Néji Jalloul sur la table des tractations politico-syndicales ? Entretien.
Vous êtes dans le viseur des syndicats de l'enseignement de base et du secondaire depuis votre arrivée au gouvernement, n'êtes-vous pas fatigué, n'avez-vous jamais pensé démissionner ?
Si, je suis fatigué. Mais je n'ai jamais pensé démissionner. Je suis rodé aux batailles politiques. Cela fait partie de la destinée d'un politicien. Malheureusement, il y a trop de coups bas, il manque de la grandeur, de la bravoure, de la noblesse. Ce qui me gêne ce sont les coups bas. Je considère qu'on démissionne pour une affaire de corruption, de mœurs, quand un ministre n'a pas de projet. Moi j'en ai un, je suis là pour ça. C'est le projet de réforme de l'éducation.
Mais vous n'arrivez pas à le mener à terme, les deux syndicats en question disent qu'ils ne peuvent plus composer avec vous, vous allez l'appliquer sans eux ?
Moi, je représente l'Etat; les syndicats, avec tout le respect que je leur dois — je suis moi-même un syndicaliste — font de la corporation. Moi je défends toutes les corporations. Le secteur de l'éducation compte neuf syndicats. Il y a aussi les élèves, les parents, la société civile. Tout le monde est concerné par l'école. On est dans une République. Mais il faut reconnaître qu'il y a un malaise général dans le pays et beaucoup de stress qui se répercutent sur l'école, essentiellement sur les élèves et les enseignants. Le métier de l'enseignant devient difficile actuellement. Et comme tous les Tunisiens, les enseignants sont inquiets pour leur avenir et ça les rend susceptibles, notamment vis-à-vis d'un discours sur la dignité de l'enseignant. Or en quoi consiste cette dignité ? C'est un bon salaire, ils l'ont ; de bonnes conditions de travail, nous y travaillons et une sécurité en matière de santé. Tout le reste n'est que discours.
Alors pourquoi les relations ne s'améliorent-elles pas ?
Parce qu'il y a une volonté de réforme. Réformer l'éducation, c'est très difficile. C'est d'ailleurs le cas depuis les années 90, l'époque Mohamed Charfi dont la réforme, un excellent projet, est restée lettre morte. Elle a connu une grande résistance. Il en a été de même de la réforme de 2002 ainsi que des tentatives de l'époque Korbi.
Nous n'allons donc pas réformer l'école ?
Au contraire ! Aujourd'hui, nous voulons réformer et pour la première fois nous sommes allés très loin. Nous avons fait un choix difficile, celui d'impliquer les syndicats, plus exactement l'Ugtt, dans un dialogue national, et quinze associations qui sont représentées par l'Institut arabe des droits de l'homme. Ils ont été associés à ce projet. Il est aujourd'hui fin prêt, il fera bientôt l'objet d'un Conseil des ministres puis sera soumis au parlement. Auparavant, il fera l'objet d'un débat public, qui est déjà en cours, dans le cadre d'une grande consultation nationale auprès des universitaires, des intellectuels, des partis politiques, des décideurs, de l'Utica, etc.
Ils vous accusent de travailler seul de manière unilatérale, que vous ne les consultez pas.
Oui, je prends des décisions unilatérales quand cela relève de mes prérogatives, je suis ministre. Mais je ne travaille pas seul. Et les signatures sur les P.-V. des commissions, on en fait quoi alors ? Ce qu'il faut comprendre, c'est que je ne fais pas une réforme avec un syndicat, je la fais avec l'Ugtt qui a des représentants dans toutes les commissions, une quinzaine, qui travaillent sur la réforme et dont nous avons les P.-V. signés. Il faut savoir qu'il y a, d'un côté, la gestion des affaires qui revient au ministre et, de l'autre, la réforme à laquelle les syndicats ont été associés, c'est-à-dire aux débats autour des programmes, des méthodes de travail, de la formation des enseignants, etc. Les syndicats sont nos partenaires. Le temps scolaire par exemple, ils l'ont signé et entériné. Les questions d'ordre technique et de gestion relèvent du ministère, tout comme la décision de créer un office des œuvres scolaires ou la désignation d'un directeur régional. Il y a une confusion entre l'approche participative et les compétences. Nous associons également les associations, l'Institut arabe des droits de l'Homme et nous pensons à l'avenir améliorer la participation de l'Utica.
Pourquoi on n'entend que la voix des syndicats, on n'a pas entendu l'Ugtt ni l'Institut arabe des droits de l'Homme vous soutenir, ils restent silencieux, le gouvernement aussi. On ne peut pas dire que vous bénéficiez d'une solidarité gouvernementale.
Le silence de l'Ugtt et de l'Institut arabe des droits de l'Homme est en effet triste parce qu'ils sont dans la réforme. Peut-être que ce silence est dû au fait qu'on ne veuille pas détourner le débat de son véritable objectif, c'est-à-dire la réforme. Quant aux syndicats, ils s'expriment en effet, mais certains dossiers comme celui de la création de l'office des œuvres scolaires qui s'occupe notamment des cantines et des dortoirs, ne les concernent pas. Le seul syndicat concerné par cette affaire est celui des surveillants, et celui-ci est d'accord pour la création de cet office, il le soutient et l'a signifié dans un communiqué. Finalement, le problème réside dans une confusion des prérogatives entre celles de l'Etat, des syndicats et à plus large échelle cela touche aussi le parlement et la société civile. Quant à la solidarité gouvernementale, le chef du gouvernement a exprimé son soutien à son ministre.
Il faut que ce soit plus affirmé
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a des gens qui ne veulent pas de cette réforme parce qu'à l'école, il y a un problème de gouvernance. Dans les écoles privées, les associations des parents ont le droit de demander des comptes sur tout en contrepartie de ce qu'ils payent. Dans l'école publique : non. Une des batailles avec les syndicats, ce sont les associations des parents. Ils n'en veulent pas. Si je cède sur les associations des parents, tout rentrera dans l'ordre. Mais je ne céderai pas parce que l'école publique est certes gratuite mais elle fonctionne avec l'argent du contribuable. Et dans une démocratie, le contribuable a le droit de demander des comptes. Le véritable débat est là. Nous avons déjà eu un autre conflit similaire avec les syndicats qui portait sur les conseils d'établissements où les élèves et les parents sont élus. L'élève devient acteur en tant que citoyen. D'où le concept de la gouvernance. Le syndicat du secondaire s'y oppose farouchement et a boycotté les élections de l'élève citoyen qui, par ailleurs, ont été massivement suivies par les élèves et les parents. Ce sont des objets de conflits réels. Cela n'a rien à voir avec la dignité de l'enseignant. Au bout du compte, l'objet du conflit, c'est notre vision de l'école publique, qui est une école républicaine, ouverte. Beaucoup nous reprochent de trop mettre l'accent sur les valeurs des droits de l'Homme et de la modernité. En fin de compte, il y a deux visions différentes de l'école.
Et que répondez-vous aux accusations de vouloir privatiser l'école publique ?
On m'accuse de tout, de privatiser l'école publique, de travailler pour le FMI, pour la BM, etc. C'est un discours gauchiste que je vendais quand j'étais étudiant. Ce discours n'a plus de sens. Nous vivons dans un monde globalisé, tout le monde travaille avec le FMI et la BM, même les grandes puissances. Le débat est donc l'école publique. Nous travaillons sur la mise en place des associations des parents dans l'école publique, parce qu'elles existent déjà dans le privé, sur les clubs culturels, les activités sportives, les cantines. Ceux qui prétendent défendre l'école publique sont en train de la détruire. Quelle école publique défendent-ils ? L'école délabrée qui dispense une mauvaise formation. Le cœur de la réforme, c'est la mise en place d'une école publique de qualité qui peut rivaliser avec l'école privée, qui a donné l'année dernière de meilleurs résultats au niveau de la Sixième. Si je favorisais l'école publique, je n'aurais pas défendu l'école publique. L'enseignement privé ne représente que 4% en Tunisie et il a échappé jusque-là à tout contrôle. A partir de l'année prochaine, on va instaurer, et pour la première fois, des inspections dans les écoles privées et former gratuitement leurs enseignants. Le rôle de l'Etat, c'est de garantir un enseignement de qualité pour tous les Tunisiens, qu'ils soient dans le public ou dans le privé. Les syndicats sont réticents. Or la formation est une composante essentielle dans le projet de réforme et il n'y aura plus de promotion sans formation. C'est encore un conflit avec les syndicats qui ont revendiqué l'année dernière deux promotions, mais elles n'ont pas été pas accordées. On avait décidé d'arrêter ce cycle infernal des promotions sans formation qui ont porté atteinte au travail des inspecteurs dont l'autorité a beaucoup régressé. Nous avons donc également décidé le retour du corps des inspecteurs, clé de voûte du système éducatif. Le conflit est inéluctable parce que l'école publique a été abandonnée pendant au moins une trentaine d'années.
Avons-nous les moyens de mettre à niveau l'école publique ?
La fermeture des écoles normales a été une catastrophe. Nous avons le mérite de les avoir rouvertes. Pendant des années, on a recruté à tort et à travers. Ce que je vais vous dire est considéré comme humiliant par les enseignants. La langue française est enseignée par des diplômés dans 19 spécialités autres que le français. C'est le cas aussi pour l'histoire-géographie et même les maths. C'est ce qui explique les 7 mille zéros au baccalauréat 2015. Dans le primaire, les instituteurs ne savent pas détecter les troubles de l'apprentissage comme la dyslexie et qui sont au nombre de dix. Ce n'est pas leur faute, ils n'ont pas été formés pour ça. Actuellement, dans les écoles normales, les étudiants instituteurs sont formés par des spécialistes pour la détection de ces troubles. Finalement, les problèmes de l'école se sont tellement accumulés que la réforme est devenue difficile et impopulaire, pour tout le monde. S'agissant de l'infrastructure, nous avons maintenant un budget important pour l'infrastructure : près de deux mille milliards jusqu'à 2020. Mais la construction des écoles prend du temps. C'est pour cela qu'il faudra du temps pour généraliser la classe préparatoire, gratuite et obligatoire, et même pour concrétiser un objectif stratégique, à savoir la séance unique dans le primaire. De plus, nos instits travaillent seulement 15 heures par semaine, c'est un cas unique au monde. Par contre, nous avons aboli la classe à sections, une honte, ce qui nous a attiré la foudre des syndicats parce que cela a généré des mutations d'enseignants, bien que cela ait nécessité l'embauche de deux mille instituteurs supplémentaires.
Vous avez supprimé les 25% au bac et la semaine bloquée, mais vous n'avez pas allégé les programmes. C'est carrément du bourrage de crâne.
Nous avons supprimé la semaine bloquée pour instaurer un système de contrôle continu. Quant à l'allègement des programmes, une réforme ne se fait pas en une année. Actuellement, nous avons des commissions qui travaillent sur les programmes avec un bureau de renommée internationale. Il est prévu qu'à la fin du mois de mai tous les programmes révisés de la classe préparatoire au bac seront prêts et nous lancerons les appels d'offres pour élaborer les nouveaux manuels qui seront disponibles pour l'année scolaire 2018-2019. On a changé ce qui peut être changé mais cela reste au stade expérimental. On ne peut pas tout changer brutalement. L'année prochaine, il y aura par contre un allégement des programmes au primaire et au collège. Il y aura moins d'heures de cours au primaire et cinq jours d'école par semaine. Un autre élément de la réforme que nous n'avons pas réussi cette fois, c'est le regroupement des écoles primaires qui ne comptent que deux, trois ou quatre élèves chacune, avec beaucoup plus d'enseignants. Le mécontentement a été général. Pourtant, une école à deux élèves n'est pas une école à proprement parler, il n'y a pas de dynamique de groupe, sans oublier que c'est une école chère. Le programme concernait 400 écoles, on n'a pu faire qu'une quarantaine. Mais on va continuer.
N'y a-t-il pas un problème de transport scolaire dans les zones éloignées ?
Il y a, en effet, un énorme problème de transport scolaire. Nous avons 130 mille élèves qui parcourent trois kilomètres pour aller à l'école. Mais le transport n'est pas l'affaire du ministère de l'Education. Malgré cela, avec l'association Madanya, nous transportons chaque jour 8.000 élèves dans les campagnes. C'est déjà un chiffre important. Avec le ministère du Transport, ce sont 120 mille élèves chaque jour. Beaucoup reste à faire. La solution radicale, c'est le ramassage scolaire. Mais est-ce que le ministère de l'Education peut à lui seul assurer le transport des élèves gratuitement ? La solution à laquelle nous avons réfléchi, c'est la création de petites entreprises de transport scolaire qui seraient parrainées par le ministère de l'Education et les parents pourront contribuer en payant un forfait. On nous a taxés pour cela de vouloir privatiser l'école publique. Or l'enseignement dans l'école publique est certes gratuit mais pas le parascolaire. C'est aussi le cas du repas chaud qu'on veut donner aux élèves. Actuellement, il bénéficie à 400 mille seulement et souvent ce n'est pas un repas chaud. Selon le Programme alimentaire mondial, notre partenaire dans ce projet, il s'agit là d'un projet pionnier. Cette année, on va également créer mille fermes pédagogiques dans la perspective d'assurer l'autosuffisance en termes de légumes, de fruits et même de viande pour les cantines de mille écoles. A ce niveau, les parents qui peuvent payer doivent le faire et les enfants démunis seront pris en charge par le ministère. La privatisation de certains services scolaires pour améliorer la qualité de vie dans l'école, ce n'est pas de la privatisation, c'est du partenariat public-privé, c'est différent et cela se fait dans les pays où l'enseignement est gratuit, en France par exemple.
Et qu'en est-il des autres composantes de la réforme, comme le temps scolaire ?
Là nous avons commis des erreurs. Avec le décalage des vacances d'hiver, on a perturbé la vie de famille. Cet impact négatif nous ne l'avions pas prévu au départ. C'est dommage. Par conséquent, les vacances d'hiver traditionnelles seront rétablies dès l'année prochaine. Pour le système semestriel, nous réfléchissons sur deux options : six semaines de cours puis une semaine de repos ou sept de cours et deux de repos. Toutefois, le système semestriel a porté ses fruits puisque le taux d'absentéisme a dégringolé. Il faut ajouter qu'à partir de l'année prochaine, nous allons également durcir la législation pour ce qui concerne les cours particuliers. Pour le collège, nous allons rapprocher les coefficients, il n'y aura plus de matière noble et de matière de second choix. On va démarrer le français en 2e année primaire et l'anglais en 4e année. C'est cela aussi la réforme : travailler sur diverses intelligences, huit notamment, et pas une seule, les maths. De même qu'on va généraliser au collège l'enseignement technique.
Quand est-ce que la Sixième et la Neuvième deviendront-elles obligatoires ?
Cette année. Il y aura une sixième unifiée et une neuvième unifiée obligatoires mais elles n'interviendront pas dans le passage de la classe ou l'orientation. Les élèves passeront les mêmes épreuves, le même jour. C'est une forme d'évaluation de l'école tunisienne. En attendant le brevet l'année prochaine. En vertu de la réforme, l'objectif est d'orienter 50% des élèves vers la formation professionnelle.
En attendant tout cela, que comptez-vous faire pour sortir de la crise et calmer les protestataires qui viennent souvent manifester devant le ministère ?
Nous ne sommes pas en crise. Nous sommes en phase de dépression passagère parce que nous essayons de mettre en place une réforme douloureuse. S'il n'y avait pas la réforme, j'aurais été un ministre heureux, qui se contente de signer son courrier le matin et faire le sport l'après-midi. Mais il y a une réforme, donc il n'y a pas de consensus.
Vous ne craignez pas que les syndicats appliquent leur menace de suspendre les cours ?
C'est leur affaire. S'il y a des grèves, ce ne sera pas la fin du monde, ça fait partie de la modernité. On a géré des grèves auparavant, des manifestations et même un boycott d'examen. On a déjà appliqué une fois le passage presque automatique dans le primaire.
N'y aurait-il pas une solution juridique à ce problème ? Un arbitrage ?
Je ne veux pas aller jusque-là parce que je pense qu'après coup, tout le monde aura la sagesse d'épargner l'école des dérives. Par ailleurs, les parents doivent aussi assumer leurs responsabilités. La société civile également. Il s'agit d'une réforme de l'éducation, tout le monde est responsable. Toutes ces polémiques inutiles devraient interpeller tout le monde. Au cours d'une manifestation, j'ai entendu des slogans contre le FMI, contre la Banque mondiale, contre le capitalisme, quel rapport avec l'école ? La dignité de l'enseignant, j'en suis le premier défenseur. Depuis que je suis ministre, les enseignants ont obtenu la plus grande augmentation de salaire dans l'histoire, un programme de logements avec la construction de villages de l'éducation dans tous les gouvernorats, une mutuelle. La dignité de l'enseignant c'est quand il peut vivre de son salaire sans avoir recours aux cours particuliers pour arrondir ses fins de mois.
Devant les députés de l'ARP, vous avez parlé de dossiers de corruption. Où en sont-ils ?
Il y a des personnes qui ont été jugées et sont en prison. D'autres ont remboursé l'argent de l'Etat. Les enseignants qui fournissent un certificat médical douteux pour aller faire un travail administratif pédagogique ne peuvent plus le faire. C'est une forme de corruption qui a été stoppée. Les congés de longue durée ont diminué de manière drastique, ils ne sont plus que 1.500 actuellement. Une liste noire de 160 médecins qui délivrent de faux certificats médicaux a été soumise au Conseil de l'ordre. Des mesures disciplinaires et punitives ont été prises. De même qu'un système de contrôle de tous les achats a été instauré. Les mutations humanitaires sont maintenant centralisées au ministère. C'est pour cela qu'on me qualifie de ministre autoritaire. Mais en vérité, je joue mon rôle de ministre. Si bien que si un jour je ne peux plus remplir ma mission de ministre telle que définie par la loi, par le mandat populaire car je viens d'un parti élu jusqu'à 2019, alors je démissionnerai. La réforme est à une étape très avancée, si elle n'est pas menée à terme, ce sera un échec et elle ne se fera peut-être jamais.
Si l'Ugtt, qui est un partenaire du Document de Carthage, ne s'associe pas à vous, que devra faire le chef du gouvernement ?
Il faut poser la question au chef du gouvernement. Si le chef du gouvernement juge que je dois quitter, je le ferai, je suis une personne disciplinée.
Les rumeurs sur votre départ se sont faites plus insistantes depuis la réunion des négociations du 4 mars à laquelle vous n'avez pas assisté
Je n'y ai pas assisté parce que les deux revendications en question concernaient les affaires sociales et la fonction publique, pas l'éducation. Le document a été signé par le secrétaire général du gouvernement. Et honnêtement, il y a une demande à laquelle j'ai toujours été réticent, c'est celle des bourses accordées aux enfants des enseignants. C'est un reliquat de l'ancien système basé sur le clientélisme. C'est fini tout ça. Pour plus de transparence, j'estime que ce dossier devrait être renvoyé au ministère de l'enseignement supérieur et ne doit pas être géré par les syndicats. Je ne les accuse de rien, mais il n'y a aucune garantie. Cette affaire gêne également. Apparemment, je suis un ministre qui gêne beaucoup. Je préfère perdre un portefeuille ministériel que perdre mon âme, parce que j'en ai une. J'ai des valeurs et un projet que je défends. Or nous passons par une période où il y a un problème de valeurs. C'est pour cela que je sortirai par la grande porte malgré tout.
Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent qu'il y a eu un deal entre Youssef Chahed et Noureddine Taboubi sur votre départ du ministère de l'Education dans le but de suspendre la grève des 8 et 9 mars ?
Je ne suis pas au courant et honnêtement je ne crois pas qu'il y ait eu un deal. Je connais assez bien le chef du gouvernement, c'est un compagnon de route depuis la révolution, ce n'est pas dans sa nature d'agir ainsi. Qui ou qu'est-ce qui l'empêche de limoger légalement un ministre s'il juge utile de le faire ? S'il me demande de quitter, je quitterai, c'est tout. La vie politique pour moi ne s'arrêtera pas là.
Que comptez-vous faire après ?
Je retournerai à la vie publique, dans un parti, aux débats.
Un parti ? Nida est effrité et on se demande d'ailleurs comment il va affronter les élections municipales ?
Historiquement, après toute grande étape politique il y a un effritement des partis, qu'il faut par la suite réformer. Nida, dans sa forme actuelle, ne peut pas affronter les municipales, il ne peut pas gagner des élections. C'est un parti qui a besoin d'être rénové, restructuré, il a besoin de rassembler. Il a été fondé à partir d'un esprit de rassemblement. Actuellement, il y a en son sein beaucoup d'exclusions à cause d'une guerre de petits chefs. Il y a un problème de leadership au sein de Nida Tounès. La seule personne qui a la légitimité historique au sein de Nida Tounès c'est Béji Caïd Essebsi. Finalement, c'est une guerre de légitimité. Béji Caïd Essebsi est le seul à avoir la légitimité du fondateur. D'autres faisant partie de l'équipe fondatrice ont aussi la légitimité fondatrice, comme Mohsen Marzouk. Moi j'ai la légitimité du combat politique. Les députés ont la légitimité électorale. Il y a donc plusieurs légitimités. Ce parti qui devait passer du stade du rassemblement autour d'un chef charismatique à celui d'une dynamique de groupe se retrouve sans projet politique et a besoin de réflexion.
Comment allez-vous pouvoir de nouveau rassembler, notamment les trois, voire quatre, Nida, et élaborer un projet politique?
Il faut bien sûr rassembler les Nida, les destouriens qui font partie de la même famille et la grande famille démocratique. Nous devons assumer nos responsabilités et ratisser large. Il faut créer en face d'Ennahdha un grand parti républicain. C'est possible, on a encore le temps pour les municipales. Parce que l'électorat démocrate est toujours là même si les gens ne croient plus beaucoup à la politique. Tous ceux qui ont voté Nida Tounès, Al Joumhouri, Afek, le mouvement destourien en 2014 ne vont pas voter Ennahdha. Ils ne vont pas voter Poct non plus. Il y a des tentatives de reconstruction de Nida actuellement parce que l'électorat démocrate est majoritaire en Tunisie, qu'on le veuille ou non. Effrité mais toujours majoritaire. Il faut le rassembler, lui donner un projet et un rêve.
Quel est votre bilan du gouvernement d'union nationale aujourd'hui ?
Il y a des progrès. Il y a des réussites politiques et sécuritaires, des avancées sociales, mais aussi des échecs économiques. C'est le bilan fait par le chef du gouvernement. Nous avons échoué parce que les lois traînent, l'administration est lourde, il y a un grand problème foncier, ce sont là des problèmes structurels qui minent l'économie nationale. Il y a aussi des dérives syndicalistes. Ces dérives portent en elles l'affaiblissement du syndicalisme. Moi je préfère un syndicalisme fort, responsable qui garantit les équilibres sociaux plutôt qu'un syndicalisme contestataire qui porte en lui les germes de l'affaiblissement du syndicalisme.
Je considère également qu'il faut impérativement définir clairement les liens douteux, d'une part, entre la politique et le syndicalisme et, d'autre part, entre l'argent et la politique parce que l'argent fausse la politique et la politique fausse le syndicalisme.
D'ailleurs, c'est nouveau qu'un syndicat demande le départ d'un ministre. Cela a commencé avec Saïd Aïdi, c'était un très mauvais précédent. Les syndicats n'ont pas à demander le départ d'un ministre. Un syndicat défend la corporation dans un cadre bien défini et légal. Sinon ce n'est plus de la démocratie. Les seuls syndicats dans l'histoire qui désignent et démettent les ministres sont les anciens syndicats soviétiques qui étaient intimement liés au parti communiste.
Y a–t-il des facteurs externes qui ont conduit à la politisation des syndicats ?
La réforme de l'éducation dérange et des courants politiques réfutent son esprit moderniste axé sur les valeurs universelles des droits de l'Homme. Mais nous avons promis, pendant la campagne électorale, des réformes fondées sur l'esprit républicain, sur les libertés et les droits de l'Homme et nous avons un mandat populaire pour appliquer cela. A la fin de ce mandat, nous allons être jugés sur un bilan. C'est important un bilan politique; en ce qui me concerne je compte me présenter aux prochaines échéances électorales.
A la présidentielle ?
Je ne sais pas encore lesquelles, probablement. Et je veux y aller avec un bilan politique. Il y a des gens qui vivent de slogans et d'autres qui appliquent des politiques. La mienne est que l'école publique redevienne un ascenseur social.


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