Hier, Chaouki Tabib, président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), a dit tout haut ce que beaucoup chuchotent dans les coulisses : les autorités ont peut-être perdu définitivement la possibilité de récupérer les biens spoliés et transférés dans les banques étrangères Le dossier du recouvrement des biens mal acquis revient au-devant de la scène politique nationale à travers une déclaration, hier, de Chaouki Tabib, président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), qui estime que «la Tunisie n'a pas pris au sérieux le dossier du recouvrement des avoirs mal acquis». Et le responsable n°1 de la lutte anticorruption d'enfoncer encore le clou en soulignant : «La Tunisie et les autorités tunisiennes sont responsables du non-recouvrement de cet argent». Plus grave encore, même les pays qui ont exprimé leur volonté d'aider la Tunisie à récupérer l'argent en question en procédant au gel des biens mal acquis cachés dans leurs banques n'ont pas été récompensés comme il se doit dans la mesure où la Tunisie n'a pas respecté les procédures nécessaires pour pouvoir aspirer à la récupération de l'argent en question et ces pays ont été dans l'obligation de lever le gel en question, une fois les délais réglementaires dépassés. Le résultat ne s'est pas fait attendre et Chaouki Tabib l'a rappelé hier: «Une grande partie de cet argent s'est évaporée, alors qu'une autre a été recouvrée par les corrompus». Mais comment est-on parvenu à cette situation, près de huit ans après les événements du 14 janvier 2011 qui ont fait rêver beaucoup de Tunisiens sur la possibilité pour la Tunisie de récupérer auprès de ses partenaires européens et frères arabes des milliers de millions de dinars au point qu'on parlait d'au moins 23 mille millions de dinars que seul l'ancien président Ben Ali a réussi à transférer dans les banques européennes et aussi arabes, en particulier aux Emirats arabes unis ? Quand on pose la question aux juristes ou à ceux qui se sont autoproclamés experts en matière de récupération des avoirs spoliés, on a presque toujours droit à la même réponse. Pour justifier l'échec des autorités tunisiennes à sensibiliser la France, la Suisse etc. à la justesse de la cause tunisienne et à amener les banques concernées à ouvrir leurs caisses pour restituer à la Tunisie son argent spolié, on invoque généralement le manque d'expérience des responsables qui ont accédé à la gouvernance du pays il y a quelque huit années et qui se sont trouvés dans l'obligation de s'adresser aux responsables suisses, français et émiratis en «ayant la conviction qu'il leur suffit de leur demander la récupération de l'argent spolié par Ben Ali et sa famille pour voir les milliers de millions de dinars affluer le plus normalement du monde dans les caisses de l'Etat», comme le confie à La Presse le Pr Abdelmajid Abdelli, enseignant de droit public à l'université d'El Manar. Pas conforme à la loi suisse Il ajoute : «Il s'est avéré que les demandes envoyées aux banques suisses, à titre d'exemple, n'étaient pas conformes à la loi suisse. Tout le monde sait que la norme la plus importante est celle du secret bancaire à préserver à tout prix. En Europe, les lois régissant les banques accordent une importance capitale au secret bancaire. Pour commencer, il faut réussir à prouver que les biens qu'on demande à récupérer sont effectivement des biens spoliés. Et puis, les banques suisses (et c'est le cas pour toutes les banques européennes) exigent un jugement tunisien définitif et pour que ce jugement soit exécutoire en Tunisie, il ne faut pas porter atteinte à l'ordre public suisse». Le Pr Abdelli a fait remarquer que Chaouki Tabib a totalement raison en révélant que les autorités tunisiennes sont responsables du non-recouvrement des avoirs spoliés et transférés à l'étranger et qu'elles ont commis toutes les erreurs possibles pour que leurs requêtes ne soient pas prises en considération. «Sur le plan procédural, les juges tunisiens en charge du dossier ont fait montre d'une grande faiblesse dans la mesure où ils ne disposent pas d'une grande connaissance des législations étrangères, ce qui a eu pour conséquence que même les mandats d'amener ou d'arrêt qu'ils envoyaient n'ont pas été suivis». Que faut-il faire maintenant «pour nous rattraper et recouvrer ce qui reste de l'argent public spolié et transféré à l'étranger ?» Chaouki Tabib tire la sonnette d'alarme mais ne propose pas de solutions concrètes sauf sa conviction qu'il faut «développer les compétences tunisiennes en matière d'investigation dans les crimes financiers et de recouvrement des avoirs tunisiens mal acquis». En attendant que l'Inlucc soit dotée des investigateurs qui feront honneur au pays, la crainte est forte de voir le dossier de cet argent fermé dans un proche avenir, beaucoup de pays européens ayant déjà signifié à la Tunisie qu'ils ne sont plus disposés à coopérer sur ce dossier au cas où notre pays ne changerait pas sa méthodologie en la question.