Gentleman-footballeur, il caressait le ballon avec une telle grâce que le cuir lui collait quasiment aux pieds. Hédi Bayari, l'élégant milieu offensif du CA, incarnait à lui seul le beau jeu doublé d'une efficacité sans faille dont les préceptes lui ont été inculqués par un certain André Nagy. Régisseur parfois, détonateur la plupart du temps, son jeu simple, tout en rupture, faisait le bonheur des Abdelli, Métoui, Touati, Boushih & Co, ses partenaires au sein du onze clubiste. Bayari, c'était l'humilité extrême sur le terrain. Jamais un geste déplacé, un carton récolté ou des sautes d'humeur. C'était surtout un finisseur hors pair, un buteur émérite. Nous l'avons rencontré afin qu'il nous livre les moments forts du football des années 80 «Evoluer au niveau des postes avancés demande combinaison de certaines qualités d'ordre mental avant tout. Ce n'est pas seulement une question de finesse ou de vitesse. Rester toujours serein, garder la tête froide au moment de conclure. Bref, ne pas en faire tout un fromage, éviter le geste de trop et donc ne pas se montrer excentrique. Bien avant de débarquer au CA, toutes mes classes, je les ai faites à l'AS Ariana, une école de la vie, une véritable fabrique de talents. J'y ai côtoyé des timoniers confirmés et chevronnés, à l'instar de Skander Medelgi et Slah Guiza. J'y ai acquis une formation complète, à l'avant-garde de ce que l'on proposait en Tunisie en ces temps-là. C'est grâce à l'ASA que j'ai pu envisager un plan de carrière au plus haut niveau. Pour revenir au CA, j'y ai tout connu. La notoriété, le vivre-ensemble, l'épanouissement, la détermination, la discipline, la rigueur et la volonté d'aller de l'avant. Grâce au club de Bab Jedid, une référence du football tunisien, j'ai évolué aux côtés de joueurs racés. J'ai aussi côtoyé plusieurs générations. De celle où évoluaient les Kamel Chebli et Chahat à la joyeuse fratrie des Faouzi Rouissi & Co. Au cours de mon vécu clubiste, j'ai aussi eu la chance d'être distingué à titre personnel. J'ai ainsi remporté trois fois le titre de meilleur buteur du championnat de Tunisie et marqué avec le CA 110 buts en championnat et 17 en coupe de Tunisie. Le pic de ma carrière a été atteint en 1978-79 où je sentais que j'avais progressé. Bref, ce fut l'âge de la maturité par le jeu et pour le jeu. Je me rappelle qu'en dépit d'une saison pas totalement accomplie, j'ai tout de même fini meilleur buteur et j'ai hérité du Soulier d'or par la suite. Il y avait tout de même un sentiment d'amertume vers les saisons 83-84. Je voulais que le CA soit couronné et non votre humble serviteur. Sinon, qu'est-ce qui différencie un sport collectif d'une discipline individuelle alors ! Il y avait ce goût amer car le CA jouait le titre jusqu'au bout et faisait un bon parcours en Coupe de Tunisie sans pour autant forcer son destin. C'était rageant mais ça fait partie de la règle du jeu, même si l'on était flanqués de l'étiquette du Poulidor du foot tunisien ! En clair, j'aime le football qui gagne. L'esprit sportif est primordial pour moi. Sauf que quand je perds, je suis inconsolable mais toujours aussi revanchard. Ce faisant, il y a aussi eu une parenthèse hors des frontières durant ma carrière. Je me suis expatrié en 1981 à Ittihad Dubai en vue de me constituer une réserve monétaire pour ma retraite. Je ne plaisante toutefois pas avec la compétition. J'y ai achevé la saison avec 11 buts et je suis retourné au Parc A avec la satisfaction du devoir accompli. A cette époque, le duel avec nos frères intimes «sang et or» était toujours aussi chavirant et excitant. Il ne peut qu'en être ainsi pour nous autres clubistes quand on doit croiser le fer avec les Nabil Mâaloul, Ben Mahmoud, Feddou, Ben Yahia, Tarak Dhiab, Bassam Jeridi, feu Kamel Karia, Chouchane …Jouer face à ces valeureux compétiteurs est en soi un pur moment de bonheur. C'est assez singulier pour moi, d'autant plus que durant ma jeunesse, nos matchs de quartier étaient fortement disputés avec la présence d'Abdelkader Rakbaoui et Tarak Dhiab sur le concassage de Souk Qdim de l'Ariana entre autres. C'est peut- être là que j'ai eu le déclic, soit intégrer un grand club à l'instar de Tarak et Taoufik Belghith. A cette période, le rêve d'embrasser une carrière dans une institution sportive a mûri dans ma tête. Et c'est là que j'ai pris le chemin du Parc A en 1972-1973 ». «La culture de la gagne» «Tout a changé dès mon intégration au CA. Le culte de la victoire, la culture de la gagne, jouer en conquérant. Bienvenue au CA ! D'ailleurs, le club de Bab Jedid a remporté le doublé lors de ma saison inaugurale. Chez les «Rouge et Blanc», je devais relever à terme l'immense Abderahmane Nasri. Pas le temps de cogiter que j'étais mis devant mes responsabilités. Je devais constituer une alternative viable. Cependant, une fois mon adaptation achevée, Ameur Hizem m'a lancé face aux Verts du CSHL en Coupe de Tunisie. On gagne (5-0) et je fais le job comme on dit. J'enchaîne par la suite contre Mahdia. Là, j'ouvre mon compteur-buts et on s'impose (2-1). Vint, par la suite, le temps des grands chocs de la saison. Une semaine après mes vingt printemps, je joue le derby. C'était un moment fort dans ma vie de footballeur, dans mon existence tout court. Et «bis-repetita » vers le début de l'hiver 1975. Sur le terrain, j'avais en face mon « meilleur ennemi » Tarak Dhiab, un pote d'enfance, un frère. Hassan Bayou met le feu et on bat l'EST. Idem au match retour, sauf que l'Espérance grâce à sa régularité empoche son second titre consécutif. A cette époque, une nouvelle génération de joueurs s'est affirmé au CA. C'était un savant dosage et un brassage intéressant entre apprentis et tauliers. Quant à moi, je prenais forcément du galon ». Le coup du chapeau face au Rwanda « Après le départ de Belghith pour l'Arabie Saoudite, mes responsabilités étaient tout autres. Promu en tant que joueur cadre aux côtés des Najib Ghommidh, Ridha Boushih et Métoui, j'intégrais le cercle des membres de l'ossature clubiste. La compétition était disputée avec des adversaires solides et rigoureux. Le grand CSS de Dhouib, Akid et Hamadi Agrebi en faisait partie. C'était une équipe qui régale par son jeu raffiné et offensif. Il n'empêche qu'on était toujours là. Il fallait toujours compter avec le CA et l'EST. Lors du derby de 1978, je marque et on bat l'Espérance. De suite, Ameur Hizem fait appel à moi en équipe nationale. Or, je n'ai pas toujours eu la réussite attendue en sélection. Je joue les éliminatoires de la CAN 1982 face au Sénégal, mais je ne participe pas à la phase finale. La saison d'après, en 1983, je prends ma revanche face au Rwanda lors des éliminatoires de la CAN 1984. Je réalise le coup du chapeau, un hat-trick comme on dit. On m'a ensuite affirmé que j'étais devenu le troisième joueur à réaliser une telle performance en match officiel après Mohieddine Habita et Mohamed Ali Akid. J'étais fier. En sélection, j'ai marqué 9 buts entre 1979 et 1983. J'ai marqué contre le Sénégal, le Rwanda, l'Algérie, la Côte d'Ivoire, le Maroc et le Gabon. En 1989, j'ai de nouveau mis les voiles et tenté une expérience dans la péninsule arabique, à Oman du côté du club Essouk, et ce, en vue de me mettre à l'abri, financièrement parlant. Quand on intègre le monde du ballon rond, on ne le quitte jamais. Le football, c'est toute ma vie. J'ai donc au crépuscule de ma carrière changé de casquette et enfilé la tunique de dirigeant au CA. J'ai aussi été intronisé tantôt technicien de l'équipe nationale de futsal. Et aussi longtemps que le destin l'aura décidé, le football fera entièrement partie de ma vie ».