Le 22 septembre 2018 restera à jamais gravé dans les annales de l'histoire contemporaine de la Tunisie. Sous un ciel gris, la péninsule du Cap Bon a vécu l'enfer sous une pluie diluvienne, où le monde paraissait se trouver en danger de mort imminente. Quatre heures d'averses non-stop durant lesquelles le temps s'est figé et l'optimisme d'une journée de fin de semaine s'est transformé en un cauchemar éveillé. Au total, cette catastrophe naturelle sans précédent a tué six personnes et causé d'énormes dégâts matériels. Des maisons ont été endommagées. Et il y a ceux qui ont tout perdu : argent en liquide, diplômes, bijoux, documents d'identité, etc. Devant un tel constat, la société civile s'est mobilisée pour porter secours aux sinistrés. Reportage. Samedi 29 septembre 2018. Il est 16h30. Au «Club les Trières» à Nabeul, ça bourdonne telle une ruche d'abeilles. Une dizaine de bénévoles du collectif «Opération Sauvetage et Nettoyage de la Ville de Nabeul» a transformé les deux grandes salles de cet écrin de sports et de loisirs en un centre de collecte et de tri des dons destinés aux sinistrés des récentes pluies torrentielles qui se sont abattues sur la région. Dans la salle principale, une pile de matelas flambant neufs et un stock de denrées alimentaires étaient entreposés. Moez Mrad avec l'aide d'Ichraf Gastli s'occupaient des colis alimentaires qui seront acheminés au R'bat (le quartier des Nattiers), l'une des zones les plus sinistrées de la cité des Potiers avec celle de Sidi Amor et «Houmet el-Bhar» (le quartier de la plage). En revanche, l'autre pièce s'est transformée en un gigantesque entrepôt de vêtements, dont une grande partie pue la naphtaline, et de chaussures usés où une poignée de femmes bénévoles faisaient le tri selon l'âge, le degré d'usure, le sexe et la taille. Un élan solidaire et spontané Il faut dire que cet élan de solidarité a été déclenché de manière spontanée, explique Emira Bouaouina, membre de l'association «Voix de Femme Nabeul». «L'idée de cette coordination a germé sur le réseau social "Facebook" quand Mme Lilia Gharbi Ben Rayana a créé le groupe "Opération Sauvetage et Nettoyage de Nabeul" pour servir d'outil d'alerte, à défaut de "Safety check" qui permet de signaler à son entourage que l'on est en sécurité. Le lendemain, j'ai lancé un appel aux différents acteurs de la société civile de Nabeul pour unir leurs forces sous le chapiteau de cette action. Et les principales associations actives ont répondu présent», ajoute-t-elle. Au total, cinq associations (4 locales et une de Tunis) ont rallié cette action de grande envergure: l'Association de l'amitié et de l'action sociale (AAAS), Voix de Femme (l'association en charge de la collecte de fonds de l'opération SMS «85510»), Lions Club Tunis Megara, la section nabeulienne du Croissant-Rouge tunisien (CRT) et le Syndicat de l'initiative touristique de Nabeul, dont le local, situé en face de la Jarre, sert de quartier général (QG) à cette action humanitaire. «Nous sommes unis par une seule cause : l'amour du Cap Bon. Tout ce beau monde a travaillé avec les autorités : les élus de la municipalité, les délégués, l'équipe de Union tunisienne de solidarité sociale (UTSS) afin d'essayer de réduire au mieux le risque de doublons sur les listes de distribution des vivres. Ces gens-là sont bénévoles. Ils n'attendent ni "merci" ni récompense. Malgré les difficultés que nous rencontrions au quotidien, cela n'a fait que renforcer nos liens et notre persévérance. Dans ces moments difficiles, j'ai eu la chance de connaître des gens magnifiques et de faire de nouvelles connaissances», fait savoir Mme Wissem Ben Abdallah-Benzaied, représentante de Lions Club Tunis Megara. Elle renchérit: «Dans ces moments difficiles, j'ai collaboré avec des jeunes tenaces, entreprenants, vifs, efficaces, courageux et serviables. Des jeunes qui répondaient à tous nos appels et qui étaient là même sans appel. Ces jeunes-là me donnent de l'espoir quant à l'avenir de la Tunisie. L'élan de solidarité de tous les Tunisiens ne peut que renforcer mes croyances : la Tunisie est un beau pays qui dépassera très bientôt sa crise grâce à ses patriotes. Vive la Tunisie». La demande dépasse la quantité de dons en nature reçue De retour dans la salle réservée aux colis alimentaires, Moez Mrad, représentant de l'Association de l'amitié et de l'action sociale (AAAS), nous informe que malgré la réception d'une tonne et demie de denrées alimentaires et la distribution de plus de 300 matelas, la demande des sinistrés dépasse largement la quantité de dons en nature reçue. «On vient de m'informer qu'un club de Rotary va nous acheminer demain 200 matelas. Voilà, une très bonne nouvelle. Entre-temps, nous devons redoubler d'efforts pour répondre aux besoins insistants des sinistrés. Pour le moment, nous gérons la situation avec les moyens du bord. Même pour les colis alimentaires, tout dépend des produits disponibles. Par exemple, ceux qui vont être distribués, maintenant, dans le quartier du R'bat, seront composés chacun de: 4 kg de pâtes, 3 boîtes de halva, 2 kg de double concentré de tomates, une bouteille de 5 l d'huile végétale et des paquets de biscuits», précise-t-il. Par exemple, l'association «Voix de Femme Nabeul» a bien travaillé sur le quartier R'bat : elle a effectué plusieurs visites sur le terrain et fait du porte-à-porte pour cerner les besoins des familles sinistrées. «Une liste de trente familles sinistrées a été établie pour faciliter notre intervention et la distribution des dons. D'ailleurs, une camionnette va acheminer, tout de suite, 12 matelas et 20 colis alimentaires pour ce quartier», souligne Ichraf Gastli, membre de l'association «Voix de Femme Nabeul». Il faut barrer la route aux doublons Mais le grand souci des bénévoles de ce collectif d'associations demeure le manque de collaboration entre les différents centres de collecte et de distribution des dons, tels que les camps de la section nabeulienne du Croissant-Rouge et celui de l'Union tunisienne de solidarité sociale dans les locaux de la Foire internationale de Nabeul. En effet, à défaut de recoupements entre les différentes listes de sinistrés, certaines âmes peu scrupuleuses ont profité de ce manque de coordination pour se ravitailler de plusieurs points de distribution. «Pour le moment, on essaie de coordonner au maximum avec la délégation de Nabeul qui nous a fourni ses listes. Certes, on essaie de s'organiser, mais on manque de bénévoles. Il faut mettre en place toute une logistique pour qu'il n'y ait aucune faille et éviter les doublons. Il faut compter encore un mois, voire plus pour satisfaire tous les besoins des sinistrés. Notre mobilisation s'arrêtera quand il n'y aura plus de sinistrés réclamant de l'aide», conclut Habib Ben Lamine, président de l'Association de l'amitié et de l'action sociale (AAAS).